Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

législation dans les réformes devenues nécessaires. On s’accorde à reconnaître non-seulement en France, mais en Allemagne et en Angleterre, que le système pénal actuel a de graves défauts. L’introduction des circonstances atténuantes, qui fut en son temps un progrès capital, a entraîné peu à peu des conséquences fâcheuses : grâce aux circonstances atténuantes, les lois sont à chaque instant éludées par ceux qui les appliquent, parce que ces derniers sentent la fréquente absurdité des lois mêmes ; s’il s’agit d’un duel, d’un infanticide, d’un meurtre commis par un mari sur sa femme, par une femme sur son mari, par une jeune fille sur son amant, tout l’édifice artificiel du code est ébranlé ou renversé par les jurys. Les catégories factices et les classifications arbitraires, qui se ramènent à la distinction trop simple et trop absolue de la « préméditation » et de la « non-préméditation, » de » l’assassinat » et de « l’homicide simple, » sont comme un réseau mal fait dont les mailles laissent tout échapper. La science sociale doit ici introduire ses notions positives, si l’on ne veut pas que les lois soient sans cesse démenties dans l’application, que les jurés prennent l’habitude de déclarer ce qui n’est pas afin d’éviter des conséquences pénales qui leur répugnent, que des délits particuliers trop sévèrement punis par les lois générales acquièrent ainsi une impunité de fait, en un mot que l’apparente rigueur des principes se traduise dans la réalité par l’arbitraire des jugemens.

Un juriste de premier ordre, M. de Holtzendorf, a mis le mal en pleine lumière, mais il a proposé un remède qui semble un retour à la théorie des appréciations morales et des punitions morales. Examinons les, faits qu’il invoque et les conclusions qu’il en tire. D’abord, pour comprendre le défaut de nos législations, il suffit de consulter avec M. de Baltzendorf la statistique des jugemens en matière pénale : on verra qu’il existe un désaccord complet entre les lois et les jurés, et cela dans les accusations les plus graves. De quelle circonstance la loi fait-elle dépendre le degré le plus élevé du crime ? De la « préméditation. » Les jurés au contraire, pour condamner ou absoudre, s’occupent moins de la préméditation que de la nature des mobiles qui ont poussé l’accusé. — Voilà le fait, qui est certain ; quant à l’interprétation que M. de Hohzendorf en donne, elle est selon nous inexacte. A l’en croire, les jurés se laisseraient avec raison guider par des considérations purement morales, qu’ils substituent à la stricte légalité. Selon nous, au contraire, les jurés obéissent avec plus, ou moins de conscience à des considérations sociales, et s’ils y mêlent des questions de moralité, c’est parce que les problèmes de droit et les problèmes de morale ont nécessairement des points de contact. Pourquoi, par exemple,