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une île se décidait à se séparer et à se disperser dans un autre monde, le dernier meurtrier qui se trouverait en prison devrait d’abord être exécuté, afin que chacun portât la peine de sa conduite et que le sang versé ne retombât point sur le peuple qui n’aurait pas réclamé publiquement cette punition[1]. » Arrivé à ce point, le fanatisme moral de Kant, : analogue au fanatisme religieux et au culte de Joseph de Maistre pour le bourreau, se réfute lui-même par l’absurde.

Comme notre métaphysique traditionnelle, notre jurisprudence traditionnelle est encore, avec ses notions de vindicte sociale, de supplices légaux et d’expiations, tout imbue des idées grossières du moyen âge, où l’on imitait le jugement divin par la prétention de juger absolument les consciences, l’éternité de l’enfer par l’irréparable peine de mort, la variété des tourmens infernaux par la variété des supplices légaux, les raffinemens de la vengeance céleste par les chevalets, les roues, les carcans, le fer, les tenailles, les haches, les bûchers. La science sociale contemporaine a déjà rejeté l’idée barbare des supplices matériels ; elle ne tardera pas à rejeter l’idée non moins barbare au fond des supplices moraux et, en général, des peines expiatoires. La justice distributive, — rémunératrice du bien ou vengeresse du mal, — fera place, ici comme ailleurs, à la justice purement commutative et contractuelle, qui n’a d’autre but que de rétablir entre les personnes les véritables relations de droit.


IV

Quel est donc le réel fondement de la pénalité sociale ? — C’est uniquement et exclusivement, selon nous, le droit de réparation, qui consiste à remettre les choses en l’état et à rétablir la justice entre les personnes. Ce droit entraîne comme conséquence une série d’autres droits. En premier lieu, il faut rétablir dans son domaine normal la liberté de celui qui est attaqué ; de là le droit de défense. En second lieu, il faut rétablir dans ses limites normales la liberté de celui qui attaque ; de là le droit de répression, qui consiste à refouler la volonté usurpatrice et à la comprimer autant qu’il est nécessaire pour la mettre hors d’état de nuire. Ce droit s’exerce pour l’avenir comme pour le présent, et devient droit d’intimidation. Un enfant qu’un autre attaque et qui lui donne une leçon à coups de poing ne veut pas seulement agir en vue du moment présent, mais inspirer pour l’avenir une crainte salutaire à l’agresseur, et

  1. Doctrine du droit, trad. Barni, p. 201.