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visage dont les difformités se corrigeraient par l’idée seule de ces difformités ; ou, si vous aimez mieux, imaginez un miroir qui, en reflétant la laideur, la rectifierait par une sorte de réaction intime ; ce miroir est la conscience : s’y voir laid, c’est s’embellir. Narcisse se penchait sur l’eau pour s’admirer ; quand on se penche sur soi-même pour se critiquer, le sentiment du désordre intérieur se tourne peu à peu en puissance de progrès. La responsabilité de soi envers soi-même consiste dans cette conscience de soi et dans cette comparaison possible de ce qu’on est avec ce qu’on devrait être. Il y a en nous pour ainsi dire deux volontés : l’une, la raisonnable, qui tend spontanément vers l’idéal et vers la liberté ; l’autre, l’irraisonnable, qui demeure attachée comme par une force d’inertie aux besoins inférieurs de l’animalité. La seconde répond d’elle-même devant la première, qui la juge. En d’autres termes, nous avons conscience en nous de tendances diversement estimables, les unes supérieures et désintéressées, les autres inférieures et égoïstes, et nous mesurons la valeur des unes par les autres. Ainsi l’aveugle apprécie la misère d’être dans la nuit dès que ses yeux se sont ouverts à la lumière, ainsi le savant mesure son ignorance dès qu’il a acquis la science : le remords, cette forme de la responsabilité envers soi, est, selon nous, un contraste violent et douloureux entre la réalité et l’idéal.

Tel est, pour une doctrine à la fois idéaliste et naturaliste, le fondement moral de la responsabilité. Nous plaçons ce fondement dans une liberté tout idéale, non dans une liberté déjà actuelle comme le libre arbitre des spiritualistes. Cette liberté est à nos yeux une fin, non une cause proprement dite. C’est là le principe par lequel nous justifions, au point de vue philosophique, le droit de légitime défense individuelle et le droit de répression, sociale. L’idéal, que chacun de nous peut réaliser, fonde notre droit : si les autres nous attaquent dans notre mouvement vers cet idéal, nous nous attribuons à juste titre un droit de défense et de répression, d’autant plus que l’idéal est commun à eux et à nous en vertu même de notre identité de nature ; nous l’élevons donc au-dessus de nous et des autres comme une fin acceptée en commun par des êtres raisonnables. En un mot, la légitimité morale de la peine se déduit, selon nous, de la liberté idéale conçue comme principe du droit, et la légitimité sociale se conclut de la commune acceptation de cet idéal par le contrat.

Les spiritualistes objecteront que la pénalité sociale est incompatible avec le déterminisme intérieur de nos actes. « Vous frappez dans un homme, dit un éminent critique de la doctrine naturaliste, M. Caro, un ensemble de hasards et de