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passèrent sur-le-champ dans les rangs de l’armée sicilienne.

A partir de ce jour, Agathocle ne fut plus un tyran ; il prit le titre de roi aux acclamations enthousiastes des soldats d’Ophellas aussi bien que des siens. Il se fût fait adorer comme un dieu, s’il en eût conçu la pensée ; il était trop sceptique et d’esprit trop narquois pour convoiter de pareils honneurs ; ce n’est pas d’encens que semblables natures se nourrissent. Et d’ailleurs à quoi bon ? Ce qui pouvait être utile en Asie, où l’on vénérait des dieux bienfaisans, devenait superflu dans l’Afrique, vouée aux sanglans sacrifices de Moloch. Tout ce qui rendait un culte superstitieux à la force ne se prosternait-il pas déjà devant Agathocle ? Utique et Bizerte ne venaient-elles pas de lui ouvrir leurs portes ? Si les populations mêmes qui avaient mêlé leur sang à celui des Carthaginois, les coulouglis de cet âge lointain, se courbaient avec tant de docilité sous le sceptre nouveau, que ne devait-on pas attendre de la race indigène ! Dépossédés jadis par Carthage, maintenus dans le respect de sa domination uniquement par la crainte, les Libyens accueillirent Agathocle comme un vengeur. Il ne restait plus à soumettre que les Numides.

Bien des armées, depuis que l’Afrique existe, se sont consumées dans cette entreprise. La soumission des Numides ne pouvait être en tout cas l’œuvre d’une campagne. Agathocle remit à son fils Archagathus le soin de contenir cette cavalerie nomade, qu’il était moins difficile encore de vaincre que d’atteindre, et, au printemps de l’année 407, il quitta les côtes de la Libye pour rentrer en Sicile. Sa présence y devenait de jour en jour plus indispensable. La mort d’Amilcar avait eu d’étranges conséquences, les Carthaginois n’étant plus à craindre, les divisions intestines à l’instant reparurent. Il y a bien, convenons-en, quelque sujet d’être divisé là ou il y a presque autant de bannis que d’heureux citoyens assis à leur foyer. Les habitans de Syracuse qui étaient parvenus à franchir les murs de cette ville, le jour du grand massacre, se rassemblèrent sous un chef, les Agrigentins voulurent, de leur côté, avoir leur général ; la campagne se trouva en proie aux bandes de partisans qui s’en disputaient la possession. Au plus fort de cette anarchie, Agathocle prit terre à Sélinonte ; il avait traversé le canal de Malte avec deux mille hommes d’infanterie embarqués sur des navires non-pontés, mais rapides, — sur des pentécontores. — Le général Bonaparte ne déjoua pas la surveillance des croisières anglaises avec plus de bonheur et ne débarqua pas plus à propos à Fréjus. La Sicile revoyait son tyran après quatre années d’absence ; l’espoir rentra sur-le-champ dans son cœur. Agathocle ne lui ramenait cependant point une armée, mais la malheureuse île s’était habituée à n’attendre son salut que de la tyrannie.