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sa proue la barque sicilienne traquée par toute une armée, quand une volée de flèches lancées par les balistes arrêta court la poursuite. Les Syracusains apprirent ainsi l’éclatante victoire qu’Agathocle venait de remporter en Libye. Ce n’était pas l’heure de capituler en Sicile. Toutes les offres d’Amilcar furent repoussées avec indignation, toutes ses menaces ne firent que raffermir la résolution de tenir jusqu’à la dernière extrémité. L’hiver approchait, et le blocus deviendrait nécessairement moins étroit. Amilcar comprit la nécessité de brusquer les choses ; il donna un assaut général à la place. Cet assaut, malgré la furie guerrière qu’y apportèrent les Carthaginois, vint se briser contre la solidité des défenseurs groupés sur les remparts. Le suffète avait voulu diriger l’attaque en personne ; il tomba presque mort aux mains des Syracusains. On le chargea de fers et on le traîna ainsi enchaîné dans les rues de la ville. Quand on l’eut accablé de mauvais traitemens et abreuvé d’outrages, on lui trancha la tête. Agathocle reçut ce trophée en Libye. La fortune secondait partout ses armes.


II

On a eu raison de le dire : il ne suffit pas de vaincre, il faut aussi savoir user de la victoire. J’ajouterai qu’il n’est peut-être pas moins important de savoir n’en pas abuser. Mais où commence l’abus ? Le succès généralement en décide. Nous a-t-on assez conseillé d’évacuer la régence conquise par la restauration sur les Barbaresques ? La restauration elle-même ne voulut-elle pas la donner au pacha d’Égypte ? Et pourtant, lorsque dans quelques siècles on demandera ce que faisait la France pendant que se déplaçaient en Europe les vieilles suprématies et que tant de nations reculaient les bornes de leur territoire, nos arrière-neveux ne seront-ils pas fiers de pouvoir répondre : « La France, en ces jours sombres, faisait l’Afrique française ? » Bien des œuvres éphémères passeront : pour la postérité, il n’en restera peut-être que deux dignes de prendre place dans l’enseignement historique des écoles : la colonisation de l’Algérie et le percement de l’isthme de Suez. Ce fut la tâche de la même génération : à l’avenir d’employer aussi bien son temps ! Qu’était venu chercher Agathocle en Libye ? La paix que les Carthaginois lui refusaient en Sicile, cette paix, Carthage ne la refusait plus ; elle l’aurait implorée au besoin. Pourquoi donc Agathocle ne songeait-il pas à traiter ? C’est qu’Agathocle se croyait alors de force à mener à bonne fin ce que les Romains ne devaient accomplir que cent soixante-quatre ans plus tard. Il voulait ruiner à jamais l’ascendant de Carthage et fonder un empire grec en Afrique. Pourquoi donc,