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le grand lac salé qui débouche au fond du vaste golfe dont Carthage occupait le bord ; Agathocle, arrivant de Porto-Farine, attaquait les remparts du côté de la plaine. Tunis n’essaya pas même de se défendre. Tout allait donc à souhait. Les Carthaginois revenaient cependant peu à peu de leur stupeur. Les vieilles troupes se trouvaient en Sicile ; le seul parti à prendre était de faire de nouvelles levées. On sait ce que valent ces armées qu’on improvise à la veille d’une bataille. Les généraux de Carthage, Hannon et Bomilcar, n’en marchèrent pas moins à la rencontre d’Agathocle. Ils avaient rassemblé 40,000 fantassins, un millier de cavaliers et 2,000 chars. Le matériel de guerre n’est jamais ce qui manque à une grande cité, mais ces chars, dont les bas-reliefs retrouvés dans les ruines de Ninive nous offrent probablement une image exacte, n’étaient bons qu’à faire peur aux Libyens ; les Grecs ouvrirent leurs rangs et les laissèrent passer ? Un certain désordre se produit néanmoins dans la ligne épaisse qu’ils traversent ; Hannon saisit le moment, l’infanterie carthaginoise s’ébranle ; elle se jette, à la suite des chars, dans la trouée. La trouée se referme sur elle. Ce ne fut pas un combat, ce fut un massacre. Hannon fit une résistance désespérée ; quand il s’affaissa, il était couvert de blessures. Son collègue, Bomilcar, essaya de se retirer en bon ordre sur une hauteur voisine ; la panique se mit dans sa troupe, et les fuyards ne s’arrêtèrent que sous les murs de Carthage. Agathocle était maître de la Libye. La journée ne lui avait pas coûté 200 hommes.

La plupart des villes que Carthage retenait autrefois dans son alliance n’attendirent pas même les sommations de l’envahisseur pour se soumettre. La première maille rompue, tout le réseau, en pareil cas, s’échappe. Avec une activité merveilleuse, Agathocle tirait parti de ce désarroi. Il était aujourd’hui sur le littoral, le lendemain il courait aux confins du désert, puis brusquement on le voyait revenir vers la mer. Il portait un coup aux Libyens, un nouveau coup aux Carthaginois, allant d’une place à l’autre, conquérant à chaque pas des alliés et faisant vivre sa petite armée dans l’abondance. Carthage un instant se crut perdue. Elle avait demandé des renforts en Sicile ; Amilcar ne put lui envoyer que 5,000 hommes. Il promettait davantage quand il aurait fait tomber Syracuse.

Les Syracusains en effet étaient aux abois. Investis par terre, bloqués du côté de la mer par la flotte ennemie, il leur restait peu de vivres. Une barque à trente rames, construite par Agathocle avec des bois coupés en Afrique, parvint à passer à travers la croisière qui gardait l’entrée du grand port. Les souverains audacieux font les capitaines intrépides ; une trirème de Carthage menaçait déjà de