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la connaissance que toutes les précautions mystérieuses dont elle les enveloppe. Les Anglais ne voulurent jamais croire que Bonaparte se préparait à se rendre en Égypte ; le débarquement des alliés en Crimée, la marche de l’armée française sur Novare, furent protégé par la même confiance incrédule. Les troupes siciliennes, tenues constamment sous les armes, n’attendaient plus qu’un moment propice pour monter à bord. Le frère d’Agathocle, Antandre, était déjà investi du gouvernement de Syracuse. La station navale des Carthaginois cependant ne perdait pas de vue l’entrée du port ; il semblait difficile, tant que quelque gros temps ne la contraindrait pas à s’éloigner, de parvenir à tromper sa surveillance. Si l’on ne comptait pas sur les incidens heureux, la guerre deviendrait impossible ; le grand mérite d’un général consiste à ne pas laisser un de ces incidens se produire sans se trouver prêt à le saisir au vol. Attentif à profiter de la moindre faveur du destin, Agathocle gardait ses soldats consignés et ses rameurs couchés entre les bancs. Le hasard n’a jamais servi que les troupes dociles et les chefs vigilans ; il vint promptement au secours d’Agathocle. Des bâtimens de transport, chargés de vivres, longeaient la côte dans l’espoir de forcer le blocus, les Carthaginois se portent imprudemment avec toutes leurs forces à l’encontre de ce gros convoi ; l’entrée du port reste ainsi dégagée. Il n’y avait pas un instant à perdre : les troupes s’embarquent, les soixante bâtimens à rames s’élancent. La passe est franchie. Les Carthaginois aperçoivent alors la flotte syracusaine ; ils se rangent en ligne, car ce ne peut être que pour combattre et pour défendre le convoi assailli que cette flotte a dû se décider à sortir enfin du port. Étrange et inexplicable manœuvre ! les vaisseaux syracusains continuent de s’éloigner à toutes rames dans le sens opposé. Ils se soucient bien du convoi ! C’est à la Libye qu’ils en veulent. Les Carthaginois ont reconnu, mais trop tard, leur erreur ; la flotte de Syracuse leur échappe. En chasse ! et promptement ! Amarinera le convoi qui pourra.

Je ne connais pas, dans la longue histoire de ces guerres maritimes dont j’ai passé ma vie à fouiller les annales, d’épisode plus curieux, plus rempli d’émotion, que celui qui, le 15 août de l’année 310 avant notre ère, eut pour théâtre le canal de Malte. Ce large bras de mer, souvent si orageux, qu’un cataclysme de date probablement récente est venu creuser entre la Sicile et l’Afrique, a vu bien des naufrages ; il n’avait jamais eu le spectacle de deux flottes luttant, dans de gigantesques régates, pendant plusieurs jours, de vitesse. Figurons-nous le blocus de Toulon, rompu en vile de l’escadre de Nelson par l’expédition d’Égypte ; imaginons-nous la colonie d’Alger repliée sur elle-même et tendant les bras à des