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jamais, ni incroyant ! Son paganisme lui vient de Raphaël et de tout un ensemble d’idées sur l’antiquité et la renaissance, comme son athéisme lui vient de Spinoza.

J’ai prononcé le mot d’affinité ; les rapports en effet s’établirent peu à peu. Un charme étrange, indéfini, émanait du livre ; à ces lectures d’abord vagues et sans objet déterminé, Goethe instinctivement revenait toujours. Qu’y cherchait-il ? lui-même n’eût point su le dire. C’est l’histoire d’Alighieri dans son commerce avec Virgile ; l’histoire de toutes nos rencontres avec un grand esprit fait pour nous dominer. Vous l’abordez par simple désir de connaître, et chemin faisant vous êtes captivé. Sur combien de nous Goethe, à son tour, ne devait-il pas agir de la sorte ? Tel livre ouvert sans préméditation ne se borne pas à vous intéresser, il vous attache ; vous y trouvez réponse aux questions qui vous préoccupent, et vous voilà bientôt, l’auteur et vous, deux inséparables. Ainsi Goethe découvrait dans Spinoza toute une théorie, applicable à sa propre personne et d’où sortirait le dénoûment de Faust. Le problème de Faust en effet n’est pas autre que celui dont Goethe cherchait la solution pour lui-même. Goethe nous confesse des écarts d’imagination pendant lesquels il avait pu se sentir capable de commettre tous les crimes et « d’avoir tous les vices, excepté l’envie. » Faust est l’incarnation de ces troubles de son âme et aussi de l’apaisement qui, grâce à l’entremise de Spinoza et de sa doctrine, y devait mettre fin ; Si Faust au dénoûment se réconcilie, c’est pour que la parole de Spinoza s’accomplisse et parce que le grand Hébreu a dit que le mal, n’étant que la négation du bien, se détache de nous comme une dépouille à l’heure de la mort et reste sur cette terre de misère, laissant l’âme remonter pure au sein de son créateur.


V

Mais cette figure de Faust, résultat suprême d’une vie livrée à toutes les tourmentes expérimentales, il fallait la trouver, l’inventer. Goethe en était là de ses agitations, et déjà l’idée du suicide le travaillait, lorsqu’il lui advint, à Strasbourg, de s’arrêter devant un théâtre de marionnettes où l’on représentait la vieille histoire populaire du docteur Faust. Ce fut le trait de lumière ; la grossière ébauche allait servir de matériel aux visions du poète. Ces rêves, ces pensées, qui bourdonnaient confusément dans la nuit de son