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gouvernement sont en même temps les grands orateurs du parlement, et que ceux-là, on les écoute toujours avec d’autant plus d’intérêt qu’ils s’expliquent avec une parfaite clarté. Ce n’est pas dans ce pays parlementaire par excellence qu’un cabinet attend, pour parler et pour agir, le mot d’ordre d’un conseiller officieux et puissant qui se dérobe à la responsabilité de la politique qu’il inspire.

La discipline ! voilà un mot dont abusent les partis, et qu’il serait bien temps de ramener à sa juste et digne acception. Il est certain que, sans discipline, il n’y a ni partis, ni groupes, ni majorité, ni minorité ; il n’y a qu’une multitude sans classement, sans ordre, une masse confuse, qui donne assez l’idée du chaos. L’individualisme parlementaire rendrait tout gouvernement impossible, en réduisant en poussière ce grand corps qui n’a de force et de vertu que par l’unité d’initiative et l’action d’ensemble. Il faut donc de la discipline dans toute société, toute réunion politique, au dedans comme au dehors du parlement. Mais cette discipline a-t-elle rien de commun avec la discipline militaire, qui veut impérieusement l’obéissance passive et se fait sentir par le mot d’ordre et la consigne ? En aucune façon. Rien ne serait plus contraire, non-seulement à la dignité de l’homme politique, mais encore à la mission que lui ont confiée ses électeurs. Que demande le pays a ses mandataires ? Qu’ils aillent débattre ses intérêts en tout honneur et en toute conscience, ne soumettant leur volonté qu’à leur raison, et leur raison qu’à la vérité qu’on fait briller à leurs yeux. C’est alors que l’accord des intelligences et des volontés s’établit au grand jour de la discussion publique. Un mandataire qui ne serait pas capable de comprendre où est la vérité et l’erreur, où est le juste et l’injuste, où est la raison et la folie, serait indigne de l’honneur qu’on lui a fait en le choisissant. Cette espèce de députés, nous le savons, est toujours prête à l’obéissance passive ; mais les partis ou les cabinets qui les préfèrent et qui les recherchent sont les plus grands ennemis du gouvernement parlementaire. Il n’y a de mandataires sérieux et vraiment utiles que les hommes libres, qui n’acceptent qu’une discipline intelligente et volontaire, avec les réserves que commandent leur conscience et leur dignité. Ils sentent que, s’ils doivent beaucoup à leur parti, ils doivent encore plus à leur pays, dont parfois l’esprit et la passion de parti font oublier les grands intérêts. C’est pour cette classe d’hommes que le gouvernement parlementaire est fait, avec ses grandes discussions, ses triomphes de la parole publique, parfois mise au service de la passion, mais le plus souvent l’organe éclatant de la raison et du patriotisme. Alors les intelligences s’éclairent à la lumière des hautes vérités, les cœurs s’échauffent à la flamme des généreux sentimens, les mesquines ambitions, les petites passions des