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de direction. Ils allaient droit à un but marqué d’avance dans un programme clairement énoncé et expliqué devant le parlement. Quand ils tombaient du pouvoir, c’était dans l’arène parlementaire, les armes à la main, comme de vrais athlètes. L’empire a supprimé ce gouvernement avec la liberté. Pourquoi la république, qui nous a rendu la liberté, ne nous rend-elle pas le régime qui en est la plus solide garantie ? Pourquoi nos ministres républicains se laissent-ils diriger, allant au hasard et à la merci d’événemens qu’ils ne savent ni prévoir ni prévenir, glissant sur une pente plus ou moins rapide, et disparaissant sans bruit dans l’ombre des intrigues parlementaires, sans que le pays sache le plus souvent comment et pourquoi ils ont quitté le pouvoir ? Autre temps, autres mœurs, dira-t-on. Le gouvernement constitutionnel et parlementaire convient à certaines monarchies de l’Europe. Est-il possible, dans une société démocratique comme la nôtre, quel qu’en soit le régime, républicain ou monarchique ? Au lieu d’accuser la volonté des hommes, n’est-il pas plus juste de reconnaître la force des choses ? Grave problème sur lequel de sérieux esprits hésitent encore. Nous croyons fermement à la possibilité, à la nécessité du gouvernement parlementaire, sous toute espèce de régime libre, et particulièrement sous le régime républicain. Nous pensons qu’il n’est pas difficile de le démontrer, en reprenant le problème dans la condition nouvelle où l’a placé notre république démocratique. Cette condition, c’est le suffrage universel, dont il importe de définir le tempérament et le rôle dans la politique actuelle de notre pays, si l’on ne veut pas se heurter à des difficultés que n’ont pas éprouvées les régimes constitutionnels et parlementaires par lesquels la France a passé.

Le tempérament du suffrage universel est connu : tel que l’a fait une éducation plus qu’insuffisante, c’est une force irrésistible, toute d’instinct, d’habitude, de passion, plutôt qu’une personnalité douée de conscience, de réflexion et de volonté, capable de se diriger d’après des idées nettes et précises, dans les choses si délicates et si complexes de la politique. Quand il est mis en demeure de décider des destinées du pays par le choix de ses mandataires, il n’obéit point à une opinion raisonnée, mais à un mot d’ordre conforme à ses sentimens, à ses besoins, et aussi parfois malheureusement à ses instincts aveugles et à ses tenaces préjugés. Si le mot d’ordre, toujours donné par les partis, qui savent seuls le formuler, est contraire à ses sentimens, le peuple souverain ne le suit pas. On l’a bien vu dans les élections de 1871, où le mot d’ordre suivi, la paix et la fin de la dictature, n’était pas celui du parti qui gouvernait alors, du moins en province. C’est donc une grande erreur de croire, comme le voudraient les flatteurs du peuple et les