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devant le public, et même devant le parlement ; c’est un programme net et précis des idées, des vues, des résolutions surtout du ministère, sur toutes les importantes questions à l’ordre du jour ; c’est l’explication et la défense de ce programme devant les interrogations, les objections, les contradictions des amis et des adversaires. C’est ainsi qu’on l’entend dans tous les pays où l’on pratique réellement le gouvernement représentatif, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Belgique, même en Espagne, où la politique ne va guère chercher de leçons de régime parlementaire. Nous l’avons vu, en France, dans tout son éclat, de 1814 à 1851. Le goût des grands discours nous avait même fait adopter la coutume anglaise des adresses à la couronne, et nous en abusions au point de perdre quinze ou vingt grands jours à ces brillans tournois parlementaires, dont le sens pratique des Anglais avait su se refuser le spectacle. La république de 1848 les supprima naturellement, et l’empire, qui fît enlever la tribune, n’était pas d’humeur à les rétablir de sitôt. En laissant à l’histoire du passé ces beaux exemples d’éloquence parlementaire, il est une chose que notre pays serait heureux de voir revivre, c’est la tradition des franches et claires explications qui semble perdue dans les mystérieuses complications de la politique actuelle. A voir ce qui se passe depuis l’établissement de la république, les amis du régime parlementaire seraient tentés de le croire incompatible avec la république gouvernée par des républicains. Tous les cabinets qui ont précédé les ministères vraiment républicains ont tenu à exposer, à expliquer, à défendre devant le parlement, à pratiquer dans leur administration un programme de gouvernement. Le premier président de la république, M. Thiers, avait sur ses ministres une autorité absolue, que sa grande personnalité rendait bien naturelle, et qui lui était d’ailleurs nécessaire pour gouverner le pays, dans les circonstances exceptionnelles où il avait accepté le pouvoir. Jamais chef d’état n’a possédé un pouvoir pareil pour le choix de ses ministres, la direction de la politique générale, et l’action personnelle sur toutes les branches de l’administration publique. Mais son gouvernement a toujours satisfait à la condition essentielle du régime parlementaire. Ce n’est pas qu’il perdît beaucoup de temps à exposer, discuter et défendre son programme politique. On ne le lui demandait jamais, tant on connaissait ses idées, ses résolutions, ses instincts et ses sentimens conservateurs sur toutes choses. M. Thiers n’avait pas besoin de programme ; il était lui-même un programme vivant, le plus clair, le plus précis, le plus facile à saisir. Pour comprendre et juger sa manière de pratiquer le gouvernement, on avait ses écrits, ses discours, tous les actes de sa longue et glorieuse carrière. Un mot résumait sa manière d’entendre le gouvernement