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rien n’est plus difficile dans le cas contraire. La dissolution ne doit être qu’un remède extrême à un mal profond, et visible pour le pays qui en a compris la gravité. Les promoteurs du 16 mai ont appris à leurs dépens qu’on ne risque pas un appel au suffrage universel comme au suffrage restreint. Celui-ci eût peut-être compris (et encore) qu’il s’agissait de choisir entre la politique conservatrice et la politique radicale. Le suffrage universel, inhabile à saisir les questions complexes ou abstraites, n’a vu, dans la campagne électorale, qu’une lutte entre monarchistes et républicains. Ce qu’il y a de plus grave peut-être dans les résultats de cette lutte, ce n’est pas la défaite et la déroute du parti conservateur trop profondément divisé pour résister à ses adversaires, c’est le droit de dissolution réduit à peu près à l’état de lettre morte. Si une seconde dissolution devenait d’une absolue et urgente nécessité, ce qu’à Dieu ne plaise, il est plus que douteux que le président actuel prît la responsabilité de la provoquer, à moins que le pays ne la réclamât à grands cris.

On voit que, si la constitution est restée à peu près intacte en principe, en fait, elle a été faussée dans son esprit et dans ses dispositions les plus essentielles par la constante pratique de la majorité républicaine de la seconde chambre. S’il ne se forme bientôt une majorité constitutionnelle qui s’efforce de lui rendre sa vertu conservatrice, ce ne sera plus qu’une loi sur le papier, sans application réelle et sans utilité, comme tant d’autres qui sont allées dormir dans les archives de notre littérature politique.


II

Voilà comment fonctionne le gouvernement constitutionnel. Le gouvernement parlementaire fonctionne-t-il mieux ? Si le gouvernement qu’on appelle de ce nom était celui où l’on fait le plus de discours, nous pourrions nous flatter de jouir du régime parlementaire dans toute sa plénitude. Nous avons des ministres qui profitent de toutes les occasions de produire leur éloquence en public. Ils parlent partout, à Nancy, à Montbéliard, à Perpignan, à Laon, à Bordeaux, tantôt devant des foules en plein air, tantôt dans des banquets, tantôt au sein des conseils généraux. Mais ils parlent pour dire seulement ce qu’ils veulent, devant des auditeurs qui viennent pour les admirer ou les applaudir. C’est là une très bonne habitude dont l’Angleterre n’avait point à nous donner l’exemple, le goût de l’éloquence étant naturel au génie de notre race. Mais cela n’a rien de commun avec le gouvernement parlementaire proprement dit. Ce qui fait le caractère propre de ce gouvernement, ce n’est ni tel discours plus ou moins éloquent, ni telle déclaration de principes