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députés en a agi ainsi, ou est-ce parce que le gouvernement avait besoin de l’expérience, de l’autorité ou du talent de ces ministres sénateurs ? C’est sans doute pour les deux raisons, la seconde chambre étant d’autant moins avare d’hommages au sénat qu’elle est plus jalouse de ses prérogatives. En fait, c’est ailleurs qu’au sénat que se produit l’initiative parlementaire, que s’élaborent les projets de loi, que couvent les articles 7, que se préparent les changemens de ministère. Combien de lois votées à contre-cœur par la majorité républicaine du sénat, sous la menace d’une crise ministérielle ou d’un conflit parlementaire ! Le transfert à Paris du siège du gouvernement n’était pas de son goût, surtout sans les garanties qu’elle avait d’abord dû exiger pour condition de son vote. Elle n’en a pas moins voté cette loi avec une pénible résignation, devant la perspective d’un conflit. Il a fallu de pressantes instances auprès des sénateurs hésitans pour rallier une majorité à un projet de loi sur l’amnistie, pour laquelle le sénat, même républicain, avait de vives répugnances. On y voulait bien gracier, mais non amnistier les gens de la commune pour un fait inouï de guerre civile. On se souvient que la loi communale, qui a enlevé au pouvoir central toute action sur les communes, en leur abandonnant la nomination des municipalités, n’a pas été votée par le sénat avec la ferme conviction qu’il votait une loi de bonne administration. Quant aux projets de loi sur les travaux publics, qui l’engagent notre avenir financier au point de nous lier peut-être les mains, lorsque l’intérêt évident du pays est qu’elles restent libres pour tous les événemens heureux ou malheureux qui peuvent survenir, il est douteux que la prévoyante sagesse de M. Léon Say en eût pris l’initiative, et il n’a pas dû entendre sans quelque embarras la critique si forte et si concluante qu’en ont faite les meilleurs financiers du sénat, M. Bocher en tête. Enfin il est une question qui agite depuis quelque temps le monde parlementaire et trouble le pays tout entier : c’est l’article 7 de la loi Ferry. Si le sénat actuel le vote, ce que nous avons peine à croire, il n’aura jamais obéi plus à contrecœur à une consigne contraire à toutes ses idées libérales et à tous ses sentimens conservateurs.

Voilà la situation faite par la chambre prépondérante à un sénat devenu républicain par les dernières élections. Quant au sénat conservateur, suspect de regrets plutôt que d’espérances monarchiques, on s’est indigné qu’il ait relevé la tête, à l’appel du maréchal Mac Mahon, et on lui a prêté les plus noirs desseins, parce qu’il n’a pas cru pouvoir refuser une dissolution qui lui était demandée comme la suprême ressource du parti conservateur. Il faut bien convenir pourtant que la chambre des députés n’a rien fait pour éviter cette