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nouvelle existence doit-elle être suivie de plusieurs autres, et du passé en avons-nous conscience ? Éternel monologue d’Hamlet toujours repris et que cette aimable Mme de Chevreuse variait si galamment quand elle écrivait à Mlle de Lenclos : « Si on pouvait croire qu’en mourant on va causer avec tous ses amis en l’autre monde, il serait doux de le penser. » Répondre : Non, est très facile, mais ce non, sur quoi l’appuyer ? Des raisons, nous en cherchons tous, chacun de nous s’informe où il peut ; Goethe s’adressait à Spinoza. Le mysticisme historique de Herder, pas plus que le prosélytisme évangélique de Lavater, ne répondait à ses besoins pratiques. L’exemple de sa vie entière nous enseigne combien peu il tenait compte des catéchismes ; deux convictions seulement l’animaient : il est un dieu, un dieu personnel ayant sa volonté, son plan dans l’histoire de l’humanité, et l’homme individuellement ne périt pas. Ces deux articles de foi sont admis par lui en principe, et pour ainsi dire emmurés au plus profond de son être. Des preuves, il n’a que faire d’en demander ni d’en fournir, mais, en dehors de cela, rien ne l’émeut. Il écarte les détails, et toute théorie du surnaturel à laquelle ces deux idées ne suffisent point le laisse inclinèrent. En matière de théorie, ce qui le touche, c’est l’organisation morale du genre humain. Mais là, par exemple, il veut des argumens et vous en donne. Cette immense communauté que, grands et petits, nous formons tous, nous savons, nous sentons qu’elle n’est pas un simple effet du hasard et ne fonctionne point comme une mécanique, mais qu’une force active, intelligente vit en elle, la gouverne et la dirige vers un but. Ce but, nous l’appelons le bien, le bon, le beau, et nous résumons dans le nom de Dieu cette idée suprême d’intelligence, d’impulsion, d’activité universelles. L’histoire vue de haut déroule sous nos yeux l’effort des peuples pour accomplir cette loi et réaliser le grand dessein. Mais cette loi, qui nous dit qu’elle existe ? Ce grand dessein, comment le reconnaître ? Poser de telles questions est plus facile que de les résoudre ; toujours faut-il déclarer que ceux-là ne sont point des hommes qui peuvent y rester étrangers toute leur vie : Goethe plus que personne devait les agiter. Quelle philosophie n’a-t-il pas compulsée au cours de sa vaste carrière ? Il avait erré longtemps de système en système et de philosophe en philosophe, quand le maître enfin se rencontra.


IV

Qu’était-ce maintenant que cet homme et que son livre, dont Goethe a pu dire : « L’Éthique m’a captivé, absorbé ; ce que j’y ai lu, je l’ignore, mais je sais que le livre renferme des secrets qu’il