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les rapports publics. Elle a vu passer l’alliance des trois empereurs, elle voit aujourd’hui ce qu’on appelle l’alliance des deux empereurs, — tout cela imaginé, noué, préparé et remanié par M. de Bismarck. Au milieu de tous ces mouvemens contraires, la France n’a qu’une conduite à suivre : elle ne peut que garder pour le moment la disponibilité de sa politique et de ses forces, et, quelles que soient les alliances qui se forment, le jour où s’ouvriraient des crises qu’elle n’aurait pas provoquées, que d’autres auraient déchaînées, la France aurait encore assez de puissance pour être recherchée, pour avoir son influence, son rôle et même ses alliés dans les indépendances et les intérêts menacés.

Cette alliance mystérieuse de Vienne qui depuis quelques semaines est livrée à toutes les polémiques, elle a cela de particulier que tout le monde, sans en connaître le secret, la commente, la juge naturellement dans la mesure de ses craintes ou de ses désirs, de ses intérêts et de ses espérances. Lord Salisbury en a parlé l’autre jour dans le brillant discours qu’il a prononcé à Manchester ; il en a parlé tout en faisant l’aveu qu’il n’en savait pas plus que les journaux, qu’il ne pouvait pas même se prononcer sur l’exactitude du fait, et sans rien savoir il n’a pas moins célébré l’alliance austro-allemande comme le plus heureux événement, comme la « bonne nouvelle, » comme le gage de la paix européenne. Il y a vu presque le fruit de ses propres efforts, le couronnement de la politique anglaise, la barrière infranchissable opposée désormais aux envahissemens de la Russie en Orient. Au fond, le discours de lord Salisbury n’est qu’une glorification ardente et spirituelle de la politique du ministère, et cette glorification retentissante n’est elle-même en définitive qu’un appel à l’opinion en vue, des élections prochaines. C’est là en effet le secret. Évidemment tout se prépare en Angleterre pour une dissolution du parlement, qui a été déjà l’objet des délibérations du cabinet, qui peut être un peu retardée selon les circonstances, qui peut être aussi brusquée d’une heure à l’autre, le jour où le gouvernement croira avantageux d’engager la bataille du scrutin. La date n’est plus qu’une question de tactique, la campagne par le fait est commencée par les ministres eux-mêmes, et à défaut de lord Beaconsfield, qui garde encore le silence en attendant de retrouver la parole au banquet du lord-maire ou ailleurs, c’est le chef du foreign office qui est entré en scène à Manchester. Lord Salisbury a fait habilement, il est vrai, ce que lord Beaconsfield lui-même a fait il y a deux mois dans la dernière réunion publique où il a paru : il a su tourner les difficultés et éviter les questions épineuses. Il n’a parlé ni de la guerre des Zoulous, ni de l’affaire de l’Afghanistan, qui est loin d’être terminée, ni de la situation agraire, qui prend un caractère de plus en plus aigu, ni des agitations de l’Irlande, qui recommencent à devenir menaçantes. Il s’est borné à parler des succès de la politique extérieure dans ces dernières années, de l’occupation de