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nouvelles pour eux et toujours avides de manifestations bruyantes.

Les républicains accusaient le parti démocrate de fomenter ces troubles ; ils lui reprochaient ses sympathies, son alliance même avec ces énergumènes de bas étage, et lui attribuaient l’intention, s’il triomphait, de faire voter par le congrès une indemnité d’un milliard et demi de francs en faveur des anciens propriétaires d’esclaves. Loin de se défendre de cette dernière accusation, les démocrates s’en servaient pour gagner du terrain dans le sud. Ils laissaient même entendre que, dans la campagne présidentielle de 1880, ils ne seraient pas éloignés d’appuyer la candidature d’un homme du sud ; quelques-uns des chefs politiques du parti préconisaient cette concession, qu’ils estimaient de nature à consolider l’Union et à effacer les dernières traces des discordes civiles.

Sur ce dernier point, Butler se renfermait dans un silence prudent. Candidat éventuel à la présidence, il se refusait à toute explication qui l’eût entraîné trop loin et enchaîné sa liberté d’action. Il se maintenait exclusivement sur le terrain social, évitant la question politique, désireux de conserver l’appui des électeurs républicains qui l’avaient précédemment élu, ainsi que le concours d’une fraction considérable du parti démocrate uni aux greenbackers et aux socialistes, impatiens de réformes, ennemis de l’aristocratie financière et des capitalistes. De part et d’autre on se disputait l’appoint du vote étranger, c’est-à-dire des Irlandais et des Allemands naturalisés, dont le concours pendant la guerre de sécession avait puissamment contribué au triomphe du nord. Leur ancien général exerçait sur eux un grand ascendant, et ils étaient aussi disposés à le suivre dans sa campagne électorale qu’ils l’avaient fait autrefois sur les champs de bataille. Au fond ils se préoccupaient peu des rivalités politiques, et la lutte des partis leur était assez indifférente. Relégués pour la plupart dans les rangs populaires, ils étaient plus soucieux des questions sociales qui les touchaient de près que des théories à l’aide desquelles on expliquait, sans y remédier, une gêne croissante. La population allemande avait fort à cœur les mesures rigoureuses prises par la Prusse contre ses anciens sujets qui arguaient de leur naturalisation pour se soustraire au service militaire. De nombreuses réclamations avaient été adressées à ce sujet au ministre des États-Unis à Berlin. La presse démocrate mettait l’administration en demeure de protéger ces nouveaux citoyens, mais sur ce point la Prusse ne voulait rien entendre. L’émigration avait pris chez elle des développemens tels, par suite de la misère et de la rigueur des lois militaires, que l’on comptait déjà aux États-Unis en 1870 1,700,000 émigrés allemands naturalisés, soit un tiers du chiffre total des étrangers. Depuis, ce nombre s’était encore considérablement accru, et le