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— Je crois qu’elle ne sera que temporaire, mais elle se fera.

— Admettons que vous soyez élu, quelle influence exercera votre élection sur le vote des autres états ?

— Mon succès dans le Massachussets porterait un coup terrible au parti républicain. Il prouverait que la masse de la population veut une réforme. Je crois que les états de New-York, de Pensylvanie et autres entreraient dans la même voie. Le Maine a déjà donné le signal d’un revirement nécessaire.

— Où croyez-vous que les greenbackers l’emportent ?

— Dans les districts agricoles de l’est et de l’ouest.

— Pensez-vous qu’ici ils disposent d’un vote considérable ?

— Oui, environ un tiers des suffrages, peut-être même plus.

— Votre parti est divisé, vos adversaires en profiteront.

— Sans nul doute. J’ai contre moi, outre les capitalistes, les chefs du parti démocrate. Ils redoutent que ma nomination de gouverneur ne me désigne comme candidat à la présidence. Ce n’est pas qu’ils blâment les réformes dont je prends l’initiative ; ils voudraient les effectuer eux-mêmes et en réclamer l’honneur. Quant aux républicains, ils craignent que je ne dévoile les actes de corruption dont ils se sont rendus coupables à l’occasion de l’élection de Hayes.

— Que pensez-vous de la liste adoptée par le parti républicain ?

— Il était difficile de faire de meilleurs choix. Le sentiment du danger qui le menace lui a fait mettre en ligne les hommes les moins compromis et ceux qui ont le plus de chance de l’emporter. Jusqu’ici il manœuvre très habilement, mais je lui disputerai le terrain pied à pied. »

Le candidat que le parti républicain opposait à Butler, Talbot, jouissait en effet dans tout l’état d’une légitime popularité et, moins que tout autre, prêtait le flanc à ces attaques violentes et personnelles si fréquentes dans les élections aux États-Unis. Butler jugeait sainement la situation. Les républicains se sentaient menacés, non-seulement dans l’état de Massachussets, mais dans les états de l’ouest et du sud, où le parti démocrate faisait de rapides progrès. Dans la Virginie, Beale et Johnston, ex-généraux de l’armée confédérée, étaient portés comme candidats. Ces noms bien connus réveillaient les souvenirs de la guerre de sécession et prouvaient les rancunes persistantes du sud. A Washington, Isaac Cohen, disciple de Kearney, le célèbre agitateur de San Francisco, groupait autour de lui de nombreux partisans, organisait le parti socialiste, proclamait l’antagonisme entre le travail et le capital, et poussait à une grève générale. Son attitude menaçante obligeait les autorités fédérales à concentrer des troupes autour du Capitole. Les nègres soutenaient Cohen, séduits par ces théories