Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie était jouée et gagnée, on faisait acte de trahison en essayant de diviser les voix du parti et d’opposer convention à convention. Les délégués dissidens étaient d’ailleurs sans pouvoir pour en tenir une nouvelle, puisqu’ils ne possédaient pas la majorité et que 973 sur 1,250 avaient voté pour Butler.

Ce résultat, immédiatement connu à Boston, y causa une profonde sensation. Le parti républicain et l’aristocratie financière, unis et maîtres des élections depuis dix-huit ans, se sentaient en présence d’un candidat redoutable, grandi par un premier succès. Ils comptaient toutefois sur les divisions des démocrates. Les partisans du juge Abbott, le juge lui-même, déclaraient hautement qu’ils voteraient pour le candidat républicain plutôt que de laisser nommer Butler. Les vieilles haines se réveillaient plus intenses que jamais. Les menaces des socialistes et les théories des greenbackers effrayaient les capitalistes, bien décidés à ne ménager ni leurs efforts, ni leur argent pour faire échouer leur adversaire. Butler, de son côté, encouragé par le succès de sa campagne de Worcester, ne négligeait rien pour le rendre définitif. Il établit son quartier général au centre même de Boston. Mac Davit, son secrétaire et son agent électoral, qui avait tout conduit dans la convention, dirigeait une armée d’agens inférieurs disséminés dans l’état et dont les rapports, soigneusement contrôlés, tenaient jour par jour le général au courant. Un comité spécial, composé d’électeurs influens, dévoués à Butler et personnellement intéressés à son élection, siégeait en permanence, entretenant et stimulant l’agitation dans les classes ouvrières, dans la presse et dans l’opinion publique au moyen d’orateurs populaires, d’articles passionnés, d’extraits de journaux et de gigantesques placards apposés sur les murs ou promenés dans les rues.

Dans tous les états de l’Union, on suivait avec attention la campagne audacieuse entreprise par Butler. On ne croyait pas à son succès. Chercher à détacher du parti républicain l’état de Massachussets, qui en était la clé de voûte, paraissait une tentative insensée, mais aussi un signe des temps. Le parti démocrate lui-même doutait de la nomination de Butler, mais c’était déjà beaucoup que de disputer la victoire aux républicains et d’oser se mesurer avec eux sur un pareil terrain. Le nombre total des électeurs de l’état était de 240,000. Le parti républicain avait obtenu plus de 140,000 suffrages aux élections précédentes et s’autorisait de la scission du parti démocrate pour grossir ce chiffre des adhérens du juge Abbott. D’autre part, le comité de Butler prédisait des défections dans les rangs des républicains par suite de la question financière ; il estimait que Butler pourrait rallier 70,000 démocrates, 35,000 greenbackers et socialistes et 30,000 électeurs