Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès une place, un emploi quelconque, versent une somme proportionnée à leurs aspirations. Plus ses chances sont cotées haut, plus la caisse se remplît, l’espoir dénoue les cordons de la bourse et, pour beaucoup, la contribution n’est qu’un placement, parfois aventuré, mais dont ils comptent tirer de gros intérêts.

Ce n’était pas sur les capitalistes de Boston que le général Butler pouvait faire fond. La plupart de ses adhérens avaient plus de bonne volonté que de dollars. À cette cause d’infériorité s’en ajoutait une autre. Dans le parti démocrate, les opinions étaient divisées. Une fraction importante n’accueillait qu’avec une répugnance marquée les avances de Butler. Le rôle qu’il avait joué dans la guerre de sécession lui aliénait ceux qui sympathisaient avec le sud. On lui reprochait ses défections politiques et son alliance avec les socialistes. Les dissidens lui opposaient le juge Abbott, dont ils soutenaient la candidature auprès de la convention appelée à se réunir à Worcester, dans le Mechanic’s Hall. Les délégués convoqués dans cette ville se partageaient en deux camps, mais les partisans d’Abbott avaient pris la précaution de louer d’avance toutes les chambres du Bay-State House, vaste hôtel voisin du Mechanic’s Hall, afin d’être en mesure d’occuper dès le matin la salle de la convention. Leur plan était de composer le bureau d’hommes sûrs, et, sous prétexte de vérification des pouvoirs, d’exclure les délégués favorables à Butler. Pour plus de sécurité, ils s’étaient fait remettre les clés du local situé au premier étage.

Prévenu de la tactique de ses concurrens, l’agent électoral de Butler prit des mesures en conséquence. Ses délégués, convoqués dans la nuit, se dirigèrent au nombre de plusieurs centaines sur le Mechanic’s Hall ; des échelles appliquées aux murs permirent d’atteindre les fenêtres de la salle. Un à un et sans bruit les délégués y pénétrèrent, et à cinq heures du matin, ils l’occupaient. A l’aide de cordes, on hissa des bourriches de vivres, des provisions et des armes que des affidés apportaient du dehors ; lorsqu’au jour les délégués favorables au juge Abbott vinrent pour siéger, ils trouvèrent la salle barricadée à l’intérieur, la place approvisionnée, en état de soutenir un siège et de résister à un blocus prolongé. Un comité fut chargé de se rendre auprès du maire et de lui demander d’expulser les envahisseurs. La police reçut ordre d’agir, mais on avait affaire à forte partie et on dut recourir aux troupes. Deux compagnies de milice se dirigèrent sur le Mechanic’s Hall et tentèrent l’escalade, mais les assiégés renversèrent les échelles. Le maire seul fut admis en parlementaire dans la salle. Il somma les assistans de se retirer, mais ils lui opposèrent un refus péremptoire, se déclarant résolus à repousser la force par la force. Tous étaient armés et décidés à une résistance énergique. Après de nombreux pourparlers, le