Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les impôts augmentaient, le crédit se resserrait, et, en présence d’une épidémie terrible, on se trouvait sans ressources pour soigner les vivans et ensevelir les morts. Les femmes du sud déployaient toute l’habileté d’un esprit ingénieux et d’une active bienfaisance pour rallier à leur parti les voix indécises, pour détacher des républicains les adhésions intéressées, pour réunir en un faisceau commun les forces divisées. Le mot d’ordre était : A solid south, un sud compact, uni dans la campagne électorale qui se préparait et au terme de laquelle elles entrevoyaient la défaite du parti républicain et, avec le triomphe des démocrates, le commencement d’une revanche dont elles n’avaient jamais désespéré.

L’élection présidentielle de 1876 avait permis en effet de mesurer le chemin parcouru. En 1872, le général Grant, candidat républicain, l’emportait de plus de 700,000 voix sur son concurrent ; seuls le Kentucky, le Missouri, le Texas, la Géorgie et le Tennessee donnaient une faible majorité de 75,000 voix au parti démocrate. En 1876, le mouvement se dessinait. Tous les états du sud votaient pour le parti démocrate. L’Indiana dans l’ouest, le New-Jersey et New-York dans l’est se déclaraient dans le même sens, et tandis que H. Greeley en 1872 n’avait pu réunir que 2,834,000 votes, Tilden en 1876 ralliait 4,284,000 suffrages.

Les états de l’ouest et de la Nouvelle-Angleterre tenaient pour le parti républicain. Maître absolu à Boston et dans le Massachusetts, le Kansas, l’Iowa, le Vermont, le Maine, lui donnaient d’écrasantes majorités, mais des symptômes significatifs indiquaient un revirement possible. La question financière en fut à la fois le signal et l’occasion. L’Indiana et l’Illinois en prirent l’initiative, et les deux plus riches états agricoles de l’Union furent ceux qui donnèrent naissance au parti des greenbackers. Il paraît étrange à première vue que l’ouest, peuplé de fermiers indépendans et intelligens, inféodé au parti républicain, se soit déclaré contre la reprise des paiemens en espèces et constitué le défenseur et l’avocat d’une thèse socialiste. Il y avait pour cela des raisons particulières. Pendant la guerre de sécession et les années qui suivirent, les fermiers de l’ouest avaient écoulé leurs produits à des prix avantageux ; la terre augmentait de valeur, l’abondance de la monnaie de papier et la facilité des crédits déterminèrent un vif mouvement de spéculation. Les fermiers se portèrent acquéreurs, obéissant à cet instinct qui pousse constamment le propriétaire du sol à augmenter l’étendue de son domaine. Les petits détenteurs, séduits par la hausse, vendirent à leurs voisins ; il en résulta que peu à peu les fermiers s’endettèrent. Le taux de l’argent varie dans l’ouest de 7 à 10 pour 100. Pour payer cet intérêt, il leur fallait beaucoup produire et vendre cher, mais de mauvaises récoltes diminuèrent leurs