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établis dans le sud, soit des nègres eux-mêmes, et de déconsidérer le pouvoir en le confiant à des personnalités indignes quelquefois et à coup sûr sans prestige. Vainement dans le congrès et dans les rangs mêmes des républicains quelques voix sages signalèrent les dangers de ces mesures implacables. Les partis victorieux vont droit aux conséquences extrêmes d’une logique absolue, sans tenir compte des mouvemens de réaction de l’opinion publique. On avait le droit et la force, on usait de l’un et de l’autre ; il fallait tout prévoir, même un retour offensif du sud écrasé, mais non soumis, et le réduire à l’impuissance de reconquérir le pouvoir. On envenimait les haines. Des esclaves de la veille on faisait les électeurs du lendemain, les maîtres de ceux auxquels ils avaient obéi si longtemps et qui conservaient tous leurs préjugés de race et de couleur. On créait en apparence un antagonisme perpétuel, une lutte sans trêve et sans issue tant que nègres et blancs vivraient côte à côte sur le même sol et sous les mêmes lois. Mais on ne tenait compte que du nombre. On oubliait la supériorité intellectuelle des uns et l’infériorité des autres, l’usage de l’autorité et l’habitude de l’obéissance.

À ces complications diverses s’ajoutaient des difficultés d’un autre ordre. Au nord comme au sud, la question financière s’imposait, grosse de dangers, fertile en péripéties, longtemps ajournée, mais exigeant enfin une prompte solution. Au nord le malaise s’accroissait par suite de la reprise imminente des paiemens en espèces, dans le sud la misère grandissait et les réclamations étouffées ou dédaignées devenaient plus bruyantes et plus impérieuses.

Si la répudiation de la dette confédérée était une inévitable conséquence de la défaite du sud, il n’en était pas de même quant au dommage causé aux planteurs par la proclamation d’émancipation. Tous, sans distinction, avaient subi une perte considérable, et il s’en trouvait dans le nombre, bien peu il est vrai, qui s’étaient opposés à l’ordonnance de sécession et avaient essayé de conjurer la lutte. Décréter en principe que les propriétaires d’esclaves n’avaient droit à aucun dédommagement, insérer dans la constitution un article prescrivant qu’aucune indemnité ne devrait jamais leur être allouée, c’était s’interdire une mesure réparatrice dont l’utilité, la nécessité même pouvait s’imposer un jour. Il vient une heure dans l’histoire des nations, heure souvent tardive, où les passions apaisées permettent à l’équité de faire entendre sa voix. L’instinct de solidarité se réveillé et rappelle aux vainqueurs les droits des vaincus, les pertes subies et les ruines à relever. Le sud d’ailleurs n’était pas seul lésé. Au moment où éclatait la guerre de sécession, les négocians du nord se trouvaient créanciers des planteurs pour des sommes considérables. Ainsi que cela se pratiquait d’ordinaire,