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Canada, que nous avons précédemment exposée ici même[1]. En ce qui concerne la Prusse, les décisions des autorités allemandes à l’égard des sujets naturalisés qui visitent leur ancienne patrie ont provoqué aux États-Unis d’énergiques protestations, et le parti démocrate s’est constitué le défenseur à outrance des droits des Allemands devenus citoyens américains. L’Espagne enfin ne saurait voir sans appréhension le pouvoir passer aux mains de ceux qui ont toujours prodigué aux insurgés de Cuba, outre de bruyans encouragemens, des secours en hommes, en munitions et en argent. Quant à la France, si elle n’a pas dans la question d’intérêt immédiat, elle n’en surveille pas moins avec attention les événemens qui se passent à l’étranger. Le temps n’est plus où l’on se plaisait à nous regarder ou même à nous définir comme la nation la plus ignorante et la plus insouciante de ce qui se passait ailleurs que chez elle. Une dure expérience nous a enseigné le danger des théories arbitraires, des idées préconçues, et nous a ramenés à l’étude patiente et à l’observation attentive des faits.

En ce qui concerne les États-Unis d’Amérique, nous connaissons leur origine et le but auquel ils tendent. Nés d’une protestation de la conscience humaine contre une doctrine théocratique absolue et un gouvernement arbitraire, ils poursuivent l’application des principes du self-government, la conquête, la colonisation et la mise en valeur d’un continent immense et fertile. Entre ces deux points extrêmes, il y a place pour bien des événemens imprévus ; l’accord sur le but qu’il s’agit d’atteindre n’implique pas toujours l’entente sur les moyens qui doivent y conduire. C’est ainsi que nous avons vu la république américaine débuter par l’autonomie des provinces, grandir avec et par l’esclavage, puis répudier l’un et l’autre principe, les briser comme des instrumens usés, au prix d’une guerre civile sanglante. Aux théories fédéralistes fondées sur le droit souverain des états ont succédé le régime d’une union autoritaire et les liens d’une centralisation puissante. L’aristocratie du sud, dépossédée du pouvoir, ruinée par l’émancipation des esclaves, décimée par la guerre de sécession, a fait place à la démocratie du nord et pendant quinze ans a dû plier sous le joug du vainqueur. Est-ce à dire pour cela que les États-Unis reniaient leur passé, les services rendus par le sud, sa politique souvent habile et toujours heureuse, la guerre de l’indépendance, la conquête des rives du Mississipi, le démembrement du Mexique, cette prodigieuse extension de leur pouvoir qui reculait leurs frontières jusqu’au Pacifique et faisait d’eux la plus puissante nation du Nouveau-Monde ? Non, pas plus que la France n’a renié les gloires et

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1879.