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Au seize mai, — la vente allait, je vous assure, —
J’ai fourni mon Joseph de linge et de chaussure ;
Et quand le Maréchal à la fin est tombé,
J’ai fait faire un habit tout neuf à mon bébé…

Le retour de Joseph finit la causerie ;
Mais je sortis de là, l’âme tout attendrie,
Et j’avais le cœur pris par le simple roman
De cet enfant malade et de sa grand’maman.
Le lendemain, je dus partir pour la province,
Mais sans les oublier ; et l’intérêt fort mince
Qu’aux choses de l’état jusqu’alors j’avais mis
Grandit, quand je songeais à mes humbles amis.
Car je ne pouvais plus juger la politique
Qu’au point de vue étroit de leur pauvre boutique ;
Et quand, par un hasard devenu bien banal,
J’apprenais, en voyant les pages du journal
Pleines d’alinéas et de rappels à l’ordre,
Que nos législateurs avaient failli se mordre
Et qu’en plein parlement ils s’étaient outragés,
Rêveur, tout en lisant leurs discours prolongés,
Où le bon sens souffrait autant que la grammaire,
Je me disais :

— Tant mieux pour la pauvre grand’mère !


III


À mon retour, j’appris que l’enfant était mort.

— Ah ! monsieur, me disait en sanglotant bien fort,
La vieille, devenue en peu de jours caduque,
Quand on perd, à mon âge, un enfant qu’on éduque,
C’est trop dur ! .. Et bientôt j’en mourrai, Dieu merci ! ..
Je ne sais pas pourquoi je reste encore ici ;
Car je perds la mémoire, un rien me bouleverse,
Et je n’ai plus la tête à mon petit commerce…
Autrefois, si j’étais âpre à gagner du pain,
C’était pour partager avec mon chérubin…
Maintenant mon chagrin me nourrit… Que m’importe
Le reste ? .. Voyez-vous, je suis à moitié morte ;
J’aurais cent ans, monsieur, que je serais moins bas ! ..