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Mais sa bonne-maman l’élèvera, j’espère.
Maintenant il n’a plus que moi, cher innocent !
Il a coûté la vie à ma fille en naissant ;
Et voilà des malheurs qu’on ne peut pas comprendre…
Des orphelins d’un jour ! .. Quant à mon pauvre gendre,
Il était étameur de glaces ; et les gens,
Dans ce vilain métier, ne durent pas dix ans,
S’ils n’ont pas les poumons comme un soufflet de forge…
À cause du mercure…

— Allons ! .. un sucre d’orge,
Dis-je à l’enfant, qui vint pour me remercier,
Prit mes sous et courut, joyeux, chez l’épicier.
— Et, quand je fus resté seul avec la marchande :

— L’enfant se porte bien ?

— J’attendais la demande,
Monsieur, répondit-elle avec un gros soupir.
C’est le chagrin que j’ai tous les jours à subir.
Non, il ne va pas bien… Que je suis malheureuse ! ..
Avec ses yeux cernés et sa figure creuse,
C’est tout son père… Il souffre, hélas ! le cher petit !
Il tousse, il dort à peine, il n’a pas d’appétit.
Enfin le médecin dît que c’est la croissance ! ..
C’est qu’il est si mignon et d’une obéissance ! ..
Et tout ce qu’il voudrait, il l’apprendrait, je crois,
Mon Joseph,.. à l’école, il a toujours la croix…
Mais sa santé,.. voilà ce qui me désespère !

— Courage ! dis-je.

— Enfin mon commerce prospère,
Continua l’aïeule, et de telle façon,
Monsieur, que rien ne manque à mon pauvre garçon.
Le bon Dieu, quand j’ai trop de mal, me vient en aide.
Tenez, j’ai cru l’enfant malade sans remède,
Voilà tantôt trois ans… Le docteur ordonna
Des médicamens chers, du vin de quinquina ; ..
Mais, juste en ce moment, je m’en souviens encore,
La chambre renversa le cabinet Dufaure ;
Et j’ai pu, — je gagnais des douze francs par jour, —
Donner ce qu’il fallait à mon petit amour…