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récompense de ses travaux et de son mérite. La presse fut unanime à exprimer ce sentiment, et le Times, qui était loin de lui être favorable, fut le premier à reconnaître que la reine n’aurait pu faire un autre choix. « Pendant vingt années, dit-il, M. Disraeli a peu à peu réorganisé les forces de son parti dans le parlement, et il l’a trois fois ramené au pouvoir. L’heure est arrivée pour le fidèle serviteur de commander à son tour ; et M. Disraeli n’aurait pu accepter une autre situation sans une déchéance morale qui eût été indigne de lui et qui eût fait peu d’honneur à son parti. »

L’élévation de M. Disraeli.au poste de premier ministre sembla enflammer le ressentiment et redoubler l’activité de M. Gladstone. La rivalité de ces deux hommes d’état prit à partir de ce jour un caractère d’animosité et d’acrimonie qu’elle n’avait pas encore eu. M. Gladstone justifia, par une nouvelle évolution, la prédiction qu’il deviendrait un jour le chef des républicains anglais. Dans son désir de former une coalition contre le ministère, il promit aux radicaux l’établissement du scrutin secret et, sacrifiant les convictions de toute sa vie, comme le lui reprocha M. Disraeli, il offrit aux députés irlandais la suppression de l’église d’Irlande. L’alliance fut conclue sur ces bases. Moins de quatre années après avoir déclaré qu’il ne pouvait être question, dans aucun cas, de toucher à l’église d’Irlande, M. Gladstone prit l’initiative d’une motion qui avait pour objet de supprimer cette église et d’en séculariser tous les biens, en les mettant à la disposition du parlement. Le gouvernement reconnaissait qu’il y avait lieu d’introduire des réformes dans l’organisation de l’église irlandaise, et il avait annoncé la nomination d’une commission d’enquête chargée d’étudier et de préparer ces réformes ; mais il ne pouvait accepter la suppression complète.

M. Disraeli combattit donc la motion de M. Gladstone avec la plus grande énergie : il défendit le principe même de l’union de l’église et de l’état, soutenant que les rapports nécessaires qu’elle entraînait entre les deux contractans exerçaient sur tous les deux une action également favorable. Supprimez, disait-il, les influences morales, et le gouvernement ne devient plus qu’une affaire de police. A un autre point de vue, il reprochait à la motion de demander une mesure de confiscation qui porterait une atteinte directe au droit de propriété et constituerait ainsi un précédent redoutable.

Les efforts de M. Disraeli furent vains. Le gouvernement fut battu à deux reprises par une majorité de soixante-cinq voix. On croyait que le ministère se retirerait ; il n’en fut rien. La motion de M. Gladstone avait profondément blessé les sentimens religieux de la reine ; celle-ci avait encouragé ses ministres dans leur résistance, et elle n’hésita pas à accorder à M. Disraeli l’autorisation de