Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regretté le rejet. La chambre des communes, en votant l’amendement de lord Dunkellin, ne venait-elle pas de sanctionner un des principes fondamentaux du bill de 1859 ?

Quelle était donc la conduite à tenir ? Reprendre le bill de 1859 dans ses parties essentielles, mais en élargir encore les bases. Il fallait s’attacher à maintenir la répartition des sièges entre les bourgs et les comtés avec deux corps électoraux distincts pour les deux sortes de collèges, et conserver au moins un député aux villes secondaires ; ces résultats assurés, il fallait, pour la composition des listes électorales dans les bourgs, aller plus loin que M. Gladstone et que M. Bright et ne laisser aux radicaux d’autre ressource que de se déclarer ouvertement partisans du suffrage universel. M. Disraeli rallia à son opinion la plupart de ses collègues, et lord Derby lui-même, malgré ses répugnances, lui donna le plus loyal concours ; mais, en apprenant que le projet élaboré par le chancelier de l’échiquier aurait pour conséquence d’accroître le nombre des électeurs de plus de deux cent mille dans les comtés et de près d’un million dans les bourgs, trois membres du cabinet, les ministres de la guerre, des colonies et de l’Inde, le général Peel, lord Carnarvon et lord Cranborne refusèrent de s’associer à une mesure qu’ils considéraient comme révolutionnaire. Le dernier devint même l’un des adversaires les plus ardens et les plus acharnés du nouveau bill de réforme.

M. Disraeli eut donc à lutter tout à la fois contre des conservateurs qui se déclaraient hostiles à toute réforme, contre M. Lowe et les whigs, qui trouvaient que le bill faisait une part trop large aux classes laborieuses, et le déclaraient plus dangereux que le bill de M. Gladstone, et enfin contre M. Gladstone et M. Bright, qui soutenaient que la mesure du gouvernement recélait une déception pour les ouvriers, et que les catégories si nombreuses et en apparence si libérales qu’elle établissait n’ajouteraient presque rien au nombre des électeurs. Les données statistiques que le gouvernement avait réunies étaient invoquées par les uns à l’appui de leurs appréhensions, et étaient taxées d’exagération et d’inexactitude par les autres. Les élémens d’une coalition semblaient tout trouvés, et M. Gladstone essaya de l’organiser en convoquant une réunion de tous les adversaires du bill ; mais les allures dominatrices de cet homme d’état et la violence qu’il déployait dans cette lutte avaient indisposé un assez grand nombre de députés, la lassitude en avait gagné d’autres, qui jugeaient qu’une solution quelconque était préférable à la prolongation de l’agitation dans laquelle on maintenait le pays ; une cinquantaine de libéraux modérés se réunirent à part, et firent échouer les projets de coalition en refusant formellement de s’y associer. M. Disraeli emporta la seconde lecture du bill par