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que lui-même ; et en le maintenant aux affaires, il était certain de mettre un frein aux innovations téméraires et aux expériences aventureuses. Au lieu de disputer à lord Palmerston un lambeau de pouvoir, ne valait-il pas mieux demeurer le chef honoré et redouté d’un grand parti avec lequel le gouvernement était sans cesse obligé de compter ?

Lord Derby, du reste, ne cachait point les motifs qui dictaient sa conduite à l’égard du cabinet. Voici le langage qu’il tenait, le 1er mars 1862, dans un banquet que le lord-maire offrait aux chefs de l’opposition : « Quels que puissent être les avantages personnels que nous retirerions d’un retour au pouvoir, nous sommes fermement convaincus qu’il est de l’intérêt du pays qu’il n’y ait point de continuels changemens de ministère. Nous désirons l’établissement d’une administration forte : je crains que celle que nous avons ne mérite pas ce titre, mais je dois honnêtement avouer que je n’entrevois pas la possibilité de former une administration forte. Ce qu’il y a de plus préjudiciable au pays, c’est une succession de ministères faibles avec de continuels changemens ; c’est une source d’embarras et d’inconvéniens : embarras pour la souveraine, embarras et inconvéniens pour notre diplomatie et dans nos relations extérieures, embarras et manque d’esprit de suite dans la direction de notre politique intérieure. » Prenant à son tour la parole, M. Disraeli fit remarquer que, bien qu’en dehors du pouvoir, le parti conservateur n’en exerçait pas moins une influence sérieuse sur les affaires publiques, en faisant avorter les mesures imprudentes ou dangereuses dont le parlement était saisi. Le langage des chefs de l’opposition était sincère : on en eut une preuve décisive, la même année. M. Stansfeld, au nom des radicaux, et M. Walpole, au nom des conservateurs, avaient présenté des motions qui condamnaient la politique financière du gouvernement. Non-seulement les conservateurs ne votèrent point pour la motion de M. Stansfeld, mais, dans la crainte que les radicaux ne votassent pour la motion conservatrice, M. Walpole la retira en déclarant expressément que « lord Derby n’avait aucun désir de renverser le noble lord qui était à la tête du gouvernement. » Ce ne fut pas la seule fois que lord Derby eut le droit de dire, comme il le fit un jour plaisamment au sein de la chambre des lords, a que la protection des conservateurs préservait seule lord Palmerston du sort d’Actéon en l’empêchant d’être dévoré par ses propres partisans. »


III

Chaque année, la présentation du budget ramenait une brillante passe d’armes entre M. Gladstone et M. Disraeli sur les questions