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John Russell la liberté de l’épiscopat catholique, qui devait, par respect pour les croyances des Irlandais, introduire et faire payer par l’état des aumôniers catholiques dans l’armée et sur la flotte, qui avait protesté, dans ses écrits et dans ses discours, contre la servitude que l’état faisait peser sur l’église anglicane, aurait été infidèle à lui-même si, le jour où il avait le pouvoir entre les mains, il n’avait pas rendu au clergé anglican la liberté dont il était seul à ne pas jouir. Pour la première fois, les convocations d’York et de Cantorbery ne furent point prorogées par ordonnance royale, et elles délibérèrent aussi librement que les conciles provinciaux d’Irlande ou les synodes presbytériens d’Ecosse. Aucun ministère, depuis lors, n’a osé revenir sur cette concession. Où les hommes politiques, habitués à considérer l’église anglicane comme un pur instrument aux mains du pouvoir civil, affectèrent de voir une imprudence, l’expérience n’a montré qu’un acte de libéralisme vrai et un sincère hommage aux droits de la conscience.


II

Après avoir accepté la démission du cabinet Derby, la reine fit appeler simultanément lord Aberdeen et lord Lansdowne, et leur demanda de former un ministère assez fort pour prévenir le retour des crises trop fréquentes depuis quelques années. Ce ne fut point une tâche facile que de concilier toutes les ambitions en présence : chacune des coteries parlementaires avait son état-major et voulait fournir son contingent : il n’y avait pas moins de trois à quatre prétendans pour chaque portefeuille. Le nouveau cabinet débuta par prendre une attitude hostile vis-à-vis de la France, dont il ne devait pas tarder à rechercher l’alliance : deux de ses membres, sir James Graham et sir Charles Wood, tinrent à l’égard du gouvernement français un langage offensant, que M. Disraeli releva avec vivacité, lorsque le parlement se réunit. Ce ne fut point la seule contradiction qu’il eut à reprocher au gouvernement. Les relations de l’Angleterre avec la Russie se tendaient de jour en jour ; avec une clairvoyance que les faits ne permettent pas de contester, M. Disraeli reprocha aux ministres, en mainte occasion, de se laisser dériver vers la guerre, tandis qu’une attitude ferme et une politique résolue pouvaient seules maintenir la paix en intimidant et en faisant reculer la Russie. Les tergiversations, les faiblesses et les contradictions du gouvernement lui paraissaient être la conséquence forcée de son origine. Le cabinet devait sa naissance à une coalition d’ambitions personnelles : il n’avait ni communauté de principes, ni unité de vues pour le guider dans l’appréciation des événemens. Les changemens ministériels, qui ne