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encore d’examiner pourquoi le protestantisme naissant devait nécessairement prendre en main, comme on fait une cause urgente, la cause de l’enseignement populaire. Je recommande à leur attention ce texte d’un réformateur : « La grande majorité reçut avec empressement la doctrine où l’on enseigne que ce par quoi nous sommes justifiés, c’est la foi et nullement les bonnes œuvres, pour lesquelles ils ne se sentent pas la moindre inclination. » On dut remplacer, pour « la grande majorité », par la discipline de l’école cette discipline des bonnes œuvres que la doctrine célèbre de l’imputation était venue détruire.

Admettons cependant qu’on ne scrute les intentions de personne et disons au moins que, si le protestantisme s’imposa la loi de répandre abondamment l’instruction, le catholicisme suivit sans retard l’exemple qu’on lui donnait.

Je vois qu’aux états-généraux d’Orléans, en 1568, le tiers état demanda « qu’une prébende fût affectée, dans chaque église cathédrale ou collégiale, à l’entretien d’un précepteur qui aurait pour charge d’instruire gratuitement la jeunesse et sans salaire. » La noblesse alla plus loin. Le tiers état n’avait demandé que l’instruction gratuite, la noblesse demanda l’instruction obligatoire en demandant que le clergé prélevât sur le revenu des bénéfices « une contribution pour stipendier des pédagogues et gens lettrés en toutes villes et villages... et seront tenus les pères et mères, à peine de l’amende, envoyer leurs enfans à ladite école. » Ces vœux n’obtinrent qu’une médiocre satisfaction. Les premiers états de Blois en 1576, et les seconds en 1588, les renouvelèrent expressément. Cette fois, ce fut le clergé qui prit l’initiative et qui demanda « que, dans tous les bourgs et même dans les villages, les évêques instituassent un maître, précepteur d’école, pour instruire la jeunesse, lequel serait stipendié par les paroissiens, tenus de faire instruire leurs enfans[1]. » Malheureusement, dans ces années de luttes civiles, compliquées de guerres étrangères, les circonstances ne se trouvèrent pas de sitôt favorables à la réalisation de ces louables intentions.

Ici se place dans notre histoire, non pas une « réforme, » mais, comme disait Bossuet, une « réformation » de l’église nationale, une renaissance de la discipline religieuse et de la ferveur chrétienne, à laquelle on n’a pas peut-être accordé toute l’attention qu’elle mérite. On n’a pas fait la part assez belle aux Bérulle, aux saint Vincent de Paul et à l’histoire de leurs fondations. Port-Royal non plus et le jansénisme ne tiennent pas le rang qu’ils devraient tenir. On s’élève-de nos jours, et l’on a raison, contre cette manière d’écrire l’histoire qui se réduirait à mentionner des dates et des faits; on demande, et c’est justice, que le peuple ait son histoire aussi; mais l’histoire des idées, l’histoire des idées religieuses et morales surtout, ne saurait nous être indifférente,

  1. Voyez les textes dans l’Histoire des états-généraux, de M. George Picot.