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ne parvint pas à satisfaire Platon, Frédéric II indisposa Voltaire, Louis XIV eut à se reprocher la mélancolie qui conduisit Racine au tombeau, et Alfonse d’Este se vit obligé d’envoyer le Tasse à l’hôpital. N’importe! malheur aux cours qui voudraient retrancher la science et la poésie de leurs fêtes ! Malheur aussi peut-être à la science et à la poésie qui méconnaîtraient ce qu’elles ont souvent dû à l’élégance et à la critique indulgente des cours !

A l’âge de soixante-trois ans, en l’année 368 avant Jésus-Christ, le vieux Denys finit, comme devait finir Cromwell, dans l’amertume d’une œuvre inachevée. Son fils Denys le Jeune rouvrit par sa nonchalance la porte à toutes les compétitions qu’avait tenues en respect le sceptre de fer. La Sicile se vit de nouveau en proie à la plus sanglante anarchie. Un ami de Platon, un beau-frère de Denys l’Ancien, Dion, fils d’Hipparinus, accourut de l’exil, appelé par les mécontens. Sur les cadavres de 4,000 citoyens égorgés en un jour, le peuple, réuni en assemblée solennelle, lui décerna l’autorité suprême; les mercenaires que Dion avait amenés de Zacinthe ne ratifièrent pas ce suffrage. Le guerrier philosophe tomba sous leurs coups et, durant huit années encore, les factions ennemies se disputèrent avec un acharnement sans exemple les lambeaux de la tunique de pourpre que personne en Sicile n’était plus de taille à porter. Les Syracusains, dans leur désespoir, tournèrent un regard éperdu vers l’étranger ; ils envoyèrent demander un chef à Corinthe. Le sénat corinthien se trouvait lui-même, en ce moment, dans un singulier embarras. Timoléon, le fils de Timenète, venait de poignarder sur la place publique son frère Timophane. Timoléon outrageait ainsi la nature, mais il sauvait, paraît-il, la patrie, si la patrie se devait confondre avec l’autorité dévolue au sénat. Timophane, en effet, « flattait notoirement la classe indigente, rassemblait des armes, s’entourait des gens les plus mal famés. » Ce sont là les préludes habituels de la tyrannie, car la tyrannie ne saurait avoir la naïveté de vouloir séduire les classes mêmes dont son avènement ne peut que ruiner les privilèges. Cependant comme il est difficile de laisser le soin de sauver l’état par un meurtre à toutes les consciences que quelque soupçon plus ou moins justifié enflamme, le sénat hésitait beaucoup sur le parti à prendre. Condamner un ami lui semblait bien dur; l’absoudre pouvait être d’un fâcheux exemple. La demande des Syracusains arrivait à point pour épargner aux juges de Corinthe l’obligation de prononcer dans cette délicate situation leur sentence. Ils décidèrent que le meurtrier serait envoyé en Sicile. Me fallait-il pas avoir quelque crime à expier pour oser descendre dans ce gouffre?

Quand Etienne Bathori entreprit de ramener la fortune sous les drapeaux