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Capitole. Les quatre célèbres chevaux de bronze doré conservés à Venise depuis la quatrième croisade, et qui datent peut-être du temps de Néron, ou bien qu’Auguste enleva d’Alexandrie après sa victoire sur Marc-Antoine, décoraient l’hippodrome dès le IVe siècle, ainsi qu’une statue de la Fortune enlevée au Palatin.

Ainsi la fondation de Constantinople, en contribuant à dépouiller les édifices romains des chefs-d’œuvre qui faisaient leur majesté et leur méritaient le respect, avait été pour eux comme un présage de ruine. Il semblait qu’elle leur eût annoncé la longue période d’abandon et de mépris qui les attendait.

La décadence inaugurée de la sorte se continua par les invasions. Tandis que la capitale orientale échappait aux dangers, par sa situation, par quelque adresse et quelque fermeté politique, par une moindre renommée, les chefs barbares au contraire entendaient des voix qui les poussaient contre Rome; leurs armées en réclamaient le pillage : c’était là l’antique ennemie, déjà presque abattue, la vraie proie qui promettait un inépuisable butin. — Nous savons qu’il faut se garder d’admettre à ce sujet certaines exagérations des historiens ultérieurs ou des pères de l’église, qui ont fait loi pendant longtemps et donné naissance à des terreurs légendaires. Il est facile par exemple de juger, d’après le curieux journal de fouilles que nous a laissé Flaminio Vacca, en quelle superstitieuse horreur le XVIe siècle tenait à Rome le seul nom des Goths. Il n’était pas de crime dont on ne chargeât leur mémoire ; eux seuls avaient commis tous les ravages à la suite desquels les antiques monumens semblaient devoir périr. C’étaient les traces de leurs lances qu’on voyait encore aux thermes de Caracalla, où l’on remarque en effet que les revêtemens de marbre ont été enlevés, — par d’autres moins pressés et en d’autres temps, — à coups de marteaux pointus et acérés : ces farouches cavaliers avaient voulu, disait-on, après avoir massacré les Romains, détruire leurs orgueilleux édifices. Flaminio Vacca raconte qu’il a vu trouver en terre des haches formant marteau d’un côté et glaive de l’autre : c’étaient, à n’en pas douter, les armes dont se servaient ces Goths, pour démolir après avoir tué. Les Goths n’avaient pas seulement une première fois pillé Rome, ils avaient en outre caché en divers endroits de la ville de riches trésors que leurs descendans reviendraient chercher, et notre chroniqueur raconte mainte histoire de perquisitions nocturnes, dans des lieux déserts, qu’on expliquait de la sorte. — Il est évident qu’au XVIe siècle le nom des Goths était, pour les Romains, synonyme de brigands et de pillards. Quelque chose de cette tradition se retrouve certainement dans l’inintelligente appellation par laquelle on désigna en Italie ou même en France l’art prétendu gothique.