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pour ces monumens, qu’il y fallait une tutelle et une sauvegarde. Et en effet Rome a subi de cruels momens de désordre et d’anarchie dès les premiers temps de l’empire; vers la fin, elle commençait d’être singulièrement abandonnée. Même quand elle était florissante, des bandes noires se livraient à de singulières spéculations, achetant les riches demeures pour les démolir, et vendant en détail les matériaux, les sculptures, les peintures et les marbres. Bientôt le luxe de Rome, devenu excessif, préparait le désastre et la ruine. Les jardins de Salluste couvraient une partie du Quirinal ; Mécène convertissait en une villa somptueuse presque tout l’Esquilin; on multipliait et on étendait après eux ces grandes propriétés, brillantes et improductives, qui chassèrent la population, et commencèrent de créer le désert.

Si le séjour des empereurs devint, par l’extension du luxe, funeste à Rome, on peut penser que leur abandon de l’ancienne capitale, par des raisons contraires, ne le fut pas moins. C’était bien une rivale que Constantin prétendait opposer. Il appela en Orient tout ce qui restait à Rome d’artistes ou d’ouvriers habiles. Il voulut que sa nouvelle ville possédât jusqu’aux objets sacrés, gages mystiques de grandeur, que les dieux avaient jadis accordés à la cité de Romulus. On croyait encore au VIe siècle qu’il avait enlevé le précieux Palladium romain, pour le cacher sous la colonne de porphyre que surmontait sa propre image dans son nouveau forum. Constantinople eut son Capitole, son milliaire doré, sa Fortune urbaine, ses jeux du cirque, avec des fêtes solennelles pour célébrer l’anniversaire de sa fondation, sa grande curie, ses thermes, ses basiliques, ses quatorze régions. Il y fallut l’incomparable parure des œuvres de l’art grec, qu’on enleva pour elle soit de Rome, soit des provinces orientales. Beaucoup de statues ornaient déjà l’ancienne Byzance, puisque Septime Sévère y avait institué tout un musée que le feu détruisit en 532 ; mais Constantin en voulut bien davantage. Dans son seul hippodrome il en érigea soixante. Il pilla le hiéron des Muses à l’Hélicon. Après lui, Théodose Ier fit apporter le Jupiter Olympien de Phidias; — une tradition fort peu authentique voudrait qu’on pût le retrouver aujourd’hui sous le sol de Constantinople; mais un incendie de l’année 475 paraît l’avoir détruit, avec bien d’autres chefs-d’œuvre, tels que la Vénus de Cnide de Praxitèle, la Junon de Samos attribuée à Bupalos, et l’Occasion de Lysippe. Rome avait dû contribuer pour une grande part à ces embellissemens : elle rendit en cette occasion une partie des objets qu’elle avait jadis ravis à la Grèce. Encore au XIIIe siècle on voyait à Constantinople l’Hercule colossal en airain de Lysippe, enlevé par Fabius Maximus en 209 aux Tarentins, et que Strabon admirait au