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qui n’a cependant pas sauvé Agrigente. Denys obtient sans peine qu’on fasse bon accueil à cette demande. Il se met à la tête d’un détachement de 2,000 fantassins et de 400 chevaux. Le voilà introduit dans la place, entouré de forces suffisantes pour y commander en maître. Quel sera, pensez-vous, son premier soin? Va-t-il se hâter de courir aux remparts? La foule anxieuse n’attend que ses ordres pour se mettre à l’œuvre. Quelle brèche faut-il réparer la première? Quels travaux supplémentaires de défense convient-il d’élever? Le regard soupçonneux de Denys se dirige ailleurs. Il doit y avoir des traîtres dans Géla, puisque Syracuse, malgré une épuration première, en est encore remplie. Les bons traîtres, ce sont toujours les riches. Que ferait le peuple des oreilles d’un chiffonnier? Les principaux citoyens de Géla n’échapperont pas à cette distinction fatale. Denys les fait sur-le-champ arrêter, condamner à mort et exécuter. Il n’y a plus maintenant, pour que leur supplice profite doublement à la république, qu’à vendre à l’enchère les biens dont une juste sentence les a dépouillés. Habitans de Géla, on vous a délivrés des sommités qui vous offusquaient; avant de songer à remplir vos coffres, occupez-vous de payer vos sauveurs! Denys se fait la part du lion dans le butin. Ce n’est pas pour lui qu’il se montre avide, c’est pour ses soldats. La bataille a été si rude! Les troupes, le jour même, reçoivent double solde; le camp est dans l’ivresse, et les gens de Géla peuvent dormir tranquilles, l’oligarchie ne relèvera pas la tête.

Denys n’a plus que faire dans cette ville pacifiée et tranquillisée en un clin d’œil; il reprend le chemin de Syracuse. Filles d’Israël, rassemblez vos palmes ! Accourez toutes au-devant du berger ! D’un seul coup de sa fronde, il a terrassé Goliath. Mais à Syracuse aussi, les magistrats font mollement leur devoir; s’ils ne sont pas vendus personnellement à l’ennemi, leur faiblesse n’en sert pas moins les desseins secrets de la trahison. Exercé dans des conditions pareilles, le commandement des troupes devient trop périlleux, Denys se démet de celui qu’on lui a confié. Perdre un tel général ! le perdre, au moment où les Carthaginois, refaits pendant l’hiver, vont se mettre en marche et venir camper sous les murs de Syracuse ! Le peuple ne permettra pas que le seul ami sincère qui l’ait invariablement assisté jusqu’ici dans ses peines l’abandonne en cette heure de péril extrême. Denys se plaint d’être mal secondé? Eh bien, que Denys commande, seul ! C’est parce qu’il commandait seul, que Gélon a vaincu jadis les Carthaginois dans les plaines d’Himère. Voilà le grand mot lâché; la tyrannie est plus d’à moitié faite. A l’âge de vingt-cinq ans, Denys devient en quelques heures le maître absolu dans Syracuse. Échappé au massacre