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péremptoires une enquête sur les origines de l’idée du transformisme, que nous avons trouvée expressément sous une forme littéraire dans le Rêve de d’Alembert, sous une forme plus précise et dogmatique dans les Élémens de physiologie, que l’on vient de nous restituer avec tant d’à-propos. La question est ouverte encore à l’heure qu’il est, et rien ne nous porte à croire qu’elle doive se fermer de si tôt. La théorie de M. Darwin, moins absolue que celle de Diderot, moins radicale, appuyée d’ailleurs sur une série d’expériences délicates, d’observations admirables, d’analogies ingénieuses, n’en est pas moins contestée aujourd’hui dans le monde savant avec autant d’ardeur et de force que le premier jour où elle s’est produite. Elle n’a pu encore traverser la région des hypothèses, parvenir au plein jour de la science expérimentale et positive. Et qui peut dire qu’elle y arrivera jamais? C’est encore une nébuleuse en voie de formation. Qui peut tirer l’horoscope de ses destins futurs? Et cependant que de circonstances propices ! et quel concours inouï de travailleurs infatigables, de prosélytes ardens, de savants distingués! En Angleterre les Lyell, les Huxley, les Lubbock, les Herbert Spencer; en Allemagne les Moleschott, les Carl Vogt, les Reich, les Wundt, les Ecker, les Jæger, et enfin le plus vif et le plus dogmatique de tous, le célèbre professeur à l’université d’Iéna, Hæckel. Nous ne parlons pas des savans français, que la question divise profondément, mais dont la portion jeune et militante semble entrer de plus en plus dans le courant nouveau qui emporte la science de la nature. Malgré tant de chances avantageuses dans ce grand combat pour la vie scientifique que soutient le transformisme, la victoire reste plus incertaine que jamais.

Plutôt que de soumettre à une discussion en règle les conceptions brillantes de Diderot, qui échappent à la critique par l’absence de documens positifs, par la fantaisie même de celui qui les produit, s’appuyant sur les élémens de la physiologie naissante qu’il étudie au jour le jour, souvent même sur des faits qu’il emprunte à des témoins sans autorité, à des voyageurs inconnus, ou bien encore aux légendes les plus apocryphes de l’antiquité, il est peut-être plus intéressant de caractériser l’idée de la nature, telle qu’elle ressort des Élémens de physiologie et qui nous paraît un peu différente de celle qui règne dans la plupart de ses autres ouvrages. Il y a, en effet, deux manières de concevoir la nature, quand on prétend se passer de Dieu : ou bien la nature est une grande artiste qui ne se connaît pas, — ou bien elle n’est autre chose que la nécessité aveugle et mécanique. Dans d’innombrables passages de ses œuvres, Diderot célèbre sous ce nom la puissance universelle, la puissance vive, éternellement féconde, le principe actif, innomé, qui élabore sans