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plaisante raconte qu’en arrivant à son amphithéâtre du Jardin du Roi, il commençait posément, puis s’animant, jetait à la tête de ses auditeurs son bonnet professoral, sa perruque, sa robe et, débarrassé de cet attirail bien gênant pour la circonstance, se livrait alors sans entrave à ses expériences et à ses démonstrations.

Nous ne prétendons pas juger la partie technique des Zléments de physiologie, ni même en rendre compte. Décider en quoi et jusqu’à quel point l’auteur est bien informé, sur quels points et dans quelle mesure il se trompe, les erreurs qu’il devait à son temps et celles qu’il ne devait qu’à lui-même, mesurer la distance qui sépare la physiologie de Haller de celle de Claude Bernard, voilà un travail que nous n’entreprendrons pas, mais qu’il serait d’un haut intérêt de voir mené à bonne fin par un physiologiste de profession. Ce savant marquerait d’une main précise la limite des connaissances exactes de Diderot et celle de son ignorance dans ces notes si nombreuses et si variées sur les fibres, le tissu cellulaire, le sang, le cœur, le cerveau, les nerfs et les muscles, la matrice, sur la sympathie et le consensus des organes, sur leurs fonctions propres et communes, sur les sensations, sur la génération, etc. Il y aurait là de quoi exercer une sagacité érudite dont le témoignage serait, je n’en doute guère, à l’honneur de Diderot, qui sut amasser tant de faits, enregistrer les expériences, noter les découvertes à mesure qu’elles se faisaient. Pour un littérateur, pour un philosophe, ce bagage n’est pas mince.

Évidemment toute cette science n’est que de seconde main; il n’y a aucune part ni d’expérience ni d’invention personnelle; mais il y a la preuve d’un véritable souci d’être bien informé. Ce qui mérite vraiment d’attirer notre attention, c’est la partie des réflexions que les faits suggèrent à l’auteur, c’est l’abondance et la hardiesse des conjectures qu’il sème, comme en se jouant, d’une main prodigue à travers ces notes amassées pêle-mêle et à peine rédigées, c’est l’interprétation qu’il nous donne du système de la nature, tel qu’il pense le saisir dans le creuset vivant où il étudie les métamorphoses de l’être.

L’idée maîtresse qui fait l’unité de cette interprétation est celle que l’on exprimerait aujourd’hui sous le nom devenu si populaire du transformisme, idée dont nous avons marqué la brillante esquisse dans le Rêve de d’Alembert, mais avec un mélange de fantaisie et d’art qui lui enlevait quelque chose de sa netteté. C’est vers 1754 que cette conception était apparue pour la première fois à l’esprit de Diderot. Il l’exprimait alors, mais timidement et avec un reste de respect ironique pour la religion : « Si la foi ne nous apprenait que les animaux sont sortis des mains du Créateur, tels que nous