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lendemain et disparues dans le tourbillon. Et combien de solliciteurs improvisés, amis du jour ou de l’heure, obtenaient et ravissaient en se jouant les dons gratuits de l’improvisateur prodigue ! Ils emportaient de ce laboratoire d’idées, plein de flammes et de fumée, quelque arme mieux trempée pour la lutte du lendemain, ou quelque ornement, quelque ciselure, dont ils s’empressaient de décorer leurs propres ouvrages. Ce serait un travail bien difficile de rechercher ces fragmens dispersés à travers les écrits de l’abbé Raynal, du baron d’Holbach, d’Helvétius, de Pezay, de Grimm, de J.-J. Rousseau lui-même et de bien d’autres. Œuvre assez ingrate d’ailleurs et que l’on regretterait peut-être, après qu’on l’aurait accomplie, tant les résultats sembleraient disproportionnés à l’effort, la plupart de ces morceaux n’ayant qu’une valeur de circonstance ou de polémique !

Il restait une sérieuse exploration à faire en Russie. On sait que les manuscrits de Diderot furent transportés à sa mort au palais de l’Ermitage, avec sa bibliothèque, par suite de la cession qu’il en avait faite à l’impératrice Catherine, et dont le prix avait racheté le bien-être et la dignité de ses dernières années. C’est même cette circonstance qui a sauvé ces manuscrits d’une destruction à peu près certaine. Nous savons par Mme de Vandeul que le fameux chanoine, frère de Diderot, réclama tous les papiers du philosophe pour les jeter au feu : on ne put le calmer qu’en lui disant qu’ils étaient en Russie ; mais il vécut jusqu’à la fin dans la crainte de les voir renaître, et sa vieillesse en fut troublée. Que dirait aujourd’hui le pauvre chanoine ? — Il y a dix ans, on voyait encore, au rez-de-chaussée de l’Ermitage, la résidence favorite de Catherine II, la bibliothèque particulière de l’impératrice, enrichie sous son règne et par son ordre des livres de Voltaire, de Diderot, de d’Alembert. Depuis quelques années seulement, cette collection précieuse a été réunie à la bibliothèque publique. Ce qui ajoute un prix singulier à ces livres, c’est que les marges sont couvertes des notes les plus curieuses de ces mains illustres. Les manuscrits ne sont pas la partie la moins intéressante de cette collection. Il y en a jusqu’à trente-deux de Diderot, dont six complètement inédits, écrits de sa main, sauf quelques passages recopiés sans doute par Naigeon ou Mme de Vandeul. M. Léon Godard, à qui nous devons ces renseignemens, auteur d’un livre intitulé Pétersbourg et Moscou, souvenirs du couronnement d’un tzar, a pris le soin de transcrire ces six volumes, qui font le mérite et la nouveauté de la présente édition. Ils contiennent une Réfutation de l’homme d’Helvétius, les Élémens de physiologie, le Plan d’une université pour le gouvernement de Russie, analysé par M. Guizot, en 1813, dans les Annales de l’éducation ; des fragmens de psychologie, de morale et de logique sur