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III.

De tels obstacles n’étaient pas faits pour arrêter un homme résolu et plein de foi dans l’avenir de ses idées. Ce n’est pas seulement par la parole et par la conversation qu’il chercha à les répandre : il se souvint qu’il avait une plume. Lord John Manners et M. Monkton Miles publiaient des poésies; M. George Smythe, qui était aussi un poète à ses heures, écrivait dans les journaux et dans les revues. M. Disraeli recourut à une forme qui lui était familière, le roman, et en fit un instrument de propagande. Il pouvait difficilement mieux choisir. Le roman est le livre populaire, il va dans toutes les mains, il s’accepte sans défiance, il se lit sans fatigue et sans effort d’attention, et il se prête à la controverse. Dans trois romans, publiés coup sur coup de 1844 à 1846, Coningsby, Sybille et Tancrède, M. Disraeli exposa ses idées politiques sous leurs diverses faces.

Coningsby est le premier en date. Il est de lié à Henry Hope, dans la demeure duquel il a été écrit. Dans la préface générale de ses œuvres complètes, lord Beaconsfield dit au sujet de ce livre : « Les origines et le caractère des partis politiques, la condition du peuple qui en a été la conséquence, les devoirs de l’église comme instrument important de salut à notre époque, telles étaient les trois questions principales que je m’étais proposé de traiter; mais j’ai dû reconnaître qu’elles étaient trop vastes pour l’espace que je m’étais accordé. Toutes trois ont été soulevées dans Coningsby; mais la première partie de ma tâche, à savoir l’origine et la situation des partis politiques, est la seule qui ait été complètement traitée dans cet ouvrage. »

Coningsby est le petit-fils d’un grand seigneur; il vient de terminer ses études et rapporte de l’université les idées politiques et philanthropiques qui constituaient le programme de la Jeune Angleterre. L’existence fastueuse et vide de l’aristocratie, où les futilités de la mode tiennent la plus grande place, où les occupations sérieuses sont une appréhension et d’où les bonnes œuvres sont absentes, n’a point de charmes pour ce jeune esprit, qui s’est formé un idéal tout différent, qui rêve une carrière utile et la conquête du pouvoir par l’accomplissement du bien. Les reproches qu’il adresse à la société actuelle, les idées de réforme qu’il émet, choquent et irritent sa famille : il est déshérité et un accident seul, en lui rendant une fortune, lui permet d’épouser celle qu’il aime. Les critiques du temps jugèrent que l’intrigue de Coningsby était faiblement nouée, que les incidens et les péripéties n’y abondaient pas. Le reproche est juste, mais le roman pour M. Disraeli, comme