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fin avec les causes qui l’ont enfanté. Il n’y aurait plus ni fermentation politique, ni nécessité de répression.

On n’éteint les mécontentemens qu’en soulageant les souffrances réelles et imméritées : la politique la plus miséricordieuse est aussi la plus habile et la plus prévoyante. Charles Ier avait traité l’Irlande avec humanité et avec équité, elle demeura fidèle aux Stuarts; Cromwell y fit couler des flots de sang, sans y étouffer l’esprit de rébellion. C’était une politique libérale et clémente qui, en Angleterre, ferait disparaître le chartisme et, en Irlande, détruirait l’influence d’O’Connell.

Mais cette politique de justice, de miséricorde et de liberté ne saurait être pratiquée qu’autant que le gouvernement ne serait pas exclusivement aux mains d’une classe qui, dès qu’elle aurait le pouvoir, aurait aussi le désir de faire tourner sa prépondérance au profit de ses intérêts : il fallait donc que le gouvernement du pays demeurât un gouvernement pondéré, où tous les intérêts eussent leur part d’influence : il fallait que ce fût le gouvernement de la nation et non celui d’une seule chambre, et il était essentiel que la chambre des communes ne fût pas la délégation d’une seule catégorie de citoyens. Il fallait donc maintenir intacte l’autorité de la chambre des lords; il fallait aussi conserver à la royauté, puissance pondératrice, sa part de pouvoir et d’initiative. Si la royauté et l’aristocratie remplissaient leurs devoirs envers le peuple, les sympathies populaires seraient la sauvegarde de leurs prérogatives.

Qui pouvait le mieux servir et faire triompher cette grande cause que la jeunesse d’Angleterre, si elle s’élevait à la hauteur de ses devoirs, si elle appliquait son ardeur, son savoir et ses loisirs au noble métier de la politique ? Le sort de l’Angleterre était entre les mains de la jeunesse.

Telles étaient, dans leur ensemble, les idées que M. Disraeli s’attachait à exposer et à défendre au sein du parlement et dans le monde, et dont sa parole entraînante imprégnait un certain nombre de jeunes esprits, bien doués et pleins d’une ardeur communicative. Qu’il y eût dans ces doctrines de la jeune Angleterre des vues et des appréciations historiques contestables, et que ce programme politique ne fût pas exempt de chimères, on doit l’admettre, mais on doit, en même temps, reconnaître que la part des idées nobles, élevées, généreuses, était de beaucoup la plus grande. Le temps a fait ici son œuvre ordinaire : il a emporté ce qui était chimérique : ce qui était contestable n’est point sorti des livres : les vues justes et humaines ont pris place, l’une après l’autre, dans la législation. Parmi les mesures équitables et philanthropiques qui ont honoré le parlement dans les trente dernières années, il en est peu dont le germe ne se retrouve dans les œuvres