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Tout ce qu’il y avait de généreux et d’ardent dans la jeunesse qui fréquentait Oxford les suivit dans cette voie, et M. Gladstone lui-même n’échappa point à la contagion. Par son savoir, par l’ardeur de son zèle, par son éloquence entraînante, le Dr Newman donna un grand élan à cette rénovation religieuse. M. Disraeli a pensé et tout récemment encore il écrivait que, si au lieu d’être dirigé uniquement par des érudits et des ascètes, ce mouvement avait eu à sa tête un grand esprit, un homme fait pour le gouvernement, il aurait donné des résultats durables et conduit à une transformation de l’église anglicane, tandis que la défection du Dr Newman, entraînant après lui tant d’hommes éminens, avait ébranlé cette église jusque dans ses fondemens, et provoqué dans son sein une réaction et un réveil de l’esprit de secte et d’intolérance.

Il est permis de ne pas partager l’opinion de M. Disraeli. L’élan donné était trop grand, les esprits qui s’y abandonnaient étaient trop élevés et trop sincères pour qu’aucune influence pût prévenir le retour des scissionnaires au catholicisme. Le point de départ du mouvement avait été une réaction contre l’abus du libre examen dans les matières religieuses. La substitution du sens individuel à la doctrine traditionnelle, la liberté d’interprétation conduisant à la destruction du dogme, à la fantaisie et à l’infidélité : voilà le spectacle qu’ils avaient sous les yeux ; voilà le danger contre lequel ils avaient voulu se prémunir en remontant à l’enseignement de la primitive église, en essayant de se retremper aux sources mêmes du christianisme. Mais où trouver une autorité pour trancher les difficultés, pour résoudre les questions douteuses? Ici apparaissait en pleine lumière la faiblesse indélébile de l’église anglicane. Cette église n’a point de vie propre : elle est dans la dépendance de l’état pour ses doctrines plus encore que pour tout le reste. Elle avait des assemblées, une sorte de parlement appelé convocation, composé de deux chambres dans l’une desquelles siégeaient les évêques et dans l’autre les délégués du clergé; mais la convocation, qui se réunissait de droit en même temps que le parlement, était depuis deux siècles prorogée par le gouvernement le jour même de sa réunion sans qu’il lui fût permis de délibérer. Non-seulement les questions de discipline, mais les questions de doctrine elles-mêmes étaient donc tranchées ou par des décisions du conseil privé ou par des bills du parlement. Pouvait-on attendre que des esprits ardens et sincères, à la poursuite de la vérité religieuse et possédés du besoin de croire, acceptassent leur credo des mains du parlement et soumissent leur conscience à ce qui serait voté à la majorité des voix par une assemblée absolument incompétente pour trancher des questions théologiques et au sein de laquelle des dissidens de toutes les sectes, des catholiques et des libres penseurs, siégeaient à côté des anglicans? Tous