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D’après le ministre, l’agitation chartiste n’était qu’un mouvement séditieux, organisé et dirigé par quelques factieux qui voulaient exploiter les souffrances d’une partie des ouvriers.

Ce fut alors que M. Disraeli prit la parole : « Si les ouvriers, dit-il, avaient tort de chercher dans des changemens politiques le remède à leurs maux, qui leur avait inculqué cette erreur, sinon les hommes qui, pour intimider les pouvoirs publics et faire passer le bill de réforme, avaient soulevé partout les classes laborieuses, en leur répétant que cette mesure inaugurerait pour elles une ère de prospérité et de bien-être ? N’était-ce pas un membre du gouvernement qui avait proposé, en 1832, de faire marcher cent mille hommes de Birmingham sur Londres, si le bill de réforme n’était pas voté ? Les chartistes ne faisaient donc que mettre en pratique les leçons qui leur avaient été données par les whigs. Non-seulement les ouvriers avaient été laissés en dehors de la réforme électorale, mais toutes les conséquences de cette mesure, notamment la nouvelle loi municipale et la nouvelle loi des pauvres, avaient été pour eux ou des déceptions ou des causes de souffrances. Aussi leur hostilité ne s’adressait-elle ni à l’aristocratie, ni à la législation sur les céréales, mais à la façon de gouverner de ces classes moyennes sur lesquelles le ministère s’appuyait exclusivement. » M. Disraeli se refusait à voir uniquement l’œuvre de quelques factieux dans un mouvement d’opinion qui entraînait plus d’un million de sujets anglais. Aussi, tout en reconnaissant que les demandes des pétitionnaires étaient inadmissibles dans la forme sous laquelle elles étaient produites, il ne craignait pas d’avouer sa sympathie pour les chartistes, parce qu’il y avait là des plaintes légitimes et des souffrances incontestables qui méritaient autre chose que le dédain qu’on témoignait pour elles.

La motion de M. Attwood fut rejetée. Quelques jours plus tard, lorsque de nouvelles émeutes eurent éclaté à Birmingham, lord John Russell demanda l’autorisation de renforcer la police par une levée supplémentaire de cinq mille hommes. M. Disraeli, conséquent avec lui-même, combattit cette mesure et fut presque seul à le faire ; il ne croyait pas qu’on pût avoir raison par la force d’un mal qui exigeait d’autres remèdes qu’une répression implacable. Lorsqu’on passa au vote, son ami Duncombe et lui formèrent, avec trois autres députés, toute la minorité.

Le chiffre de la minorité suffit à montrer qu’il y avait, de la part de M. Disraeli, quelque courage à prendre cette attitude et à tenir ce langage au milieu d’une crise qui semblait justifier l’emploi de mesures exceptionnelles, et lorsque le gouvernement déclarait ne pouvoir autrement répondre de la tranquillité publique. Non-seulement