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accorda aux dames du palais 10,000 francs pour les en dédommager; ils furent loin de nous suffire. Les dépenses du couronnement se montèrent à près de 4 millions.

Les princes et les étrangers de marque qui se trouvaient à Paris faisaient une cour assidue à nos souverains, et de son côté l’empereur mettait assez de grâce à leur faire les honneurs de Paris. Le prince Louis de Bade était alors fort jeune, assez embarrassé de sa personne et se mettait peu en évidence. Le prince primat était un homme de plus de soixante ans, aimable, gai, un tant soit peu bavard, connaissant bien la France et Paris, qu’il avait habité dans sa jeunesse, amateur des lettres et lié avec les anciens académiciens. Ils étaient admis, et quelques autres encore, aux petits cercles qui se tenaient chez l’impératrice. Durant cet hiver, une ou deux fois par semaine, on invitait une cinquantaine de femmes et un assez bon nombre d’hommes à souper aux Tuileries. On s’y rendait à huit heures, dans une toilette recherchée, mais sans habits de cour. On jouait dans le salon du rez-de-chaussée qui est aujourd’hui celui de Madame. Quand l’empereur arrivait, on passait dans une salle où des chanteurs italiens donnaient un concert qui durait une demi-heure; ensuite on rentrait dans le salon et on reprenait les parties, l’empereur allant et venant, causant ou jouant selon sa fantaisie. A onze heures, on servait un grand et élégant souper : les femmes seules s’y asseyaient. Le fauteuil de l’empereur demeurait vide; il tournait autour de la table, ne mangeait rien et, le souper fini, il se retirait. À ces petites soirées étaient toujours invités les princes et les princesses, les grands officiers de l’empire, deux ou trois ministres et quelques maréchaux, des généraux, des sénateurs et des conseillers d’état avec leurs femmes. Il y avait là de grands assauts de toilettes; l’impératrice y paraissait toujours, ainsi que ses belles-sœurs, avec une parure nouvelle et beaucoup de perles et de pierreries. Elle a eu dans son écrin pour un million de perles. On commençait alors à porter beaucoup d’étoffes lamées en or et en argent. Pendant cet hiver, la mode des turbans s’établit à la cour; on les faisait avec de la mousseline blanche ou de couleur, semée d’or, ou bien avec des étoffes turques très brillantes. Les vêtemens, peu à peu, prirent aussi une forme orientale ; nous mettions sur des robes de mousseline richement brodées de petites robes courtes, ouvertes par-devant, en étoffe de couleur éclatante, les bras, les épaules et la poitrine découverts. Souvent, pendant cette saison, il arriva que l’empereur, de plus en plus amoureux, comme je le dirai plus bas, et cherchant à dissimuler sa préférence en s’occupant de toutes les femmes, semblait n’être à l’aise qu’au milieu d’elles, et chacun des hommes de la cour,