Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/754

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant de clore ce chapitre, je veux rappeler une circonstance qui me paraît bonne encore à conserver. L’empereur ayant renoncé pour ce moment au divorce, mais toujours pressé du désir d’avoir un héritier, demanda à sa femme si elle consentirait à en accepter un qui n’appartiendrait qu’à lui, et à feindre une grossesse avec assez d’habileté pour que tout le monde y fut trompé. Elle était loin de se refuser à aucune de ses fantaisies à cet égard. Alors Bonaparte, faisant venir son premier médecin Corvisart, en qui il avait une confiance étendue et méritée, lui confia son projet : « Si je parviens, lui dit-il, à m’assurer de la naissance d’un garçon qui sera mon fils à moi, je voudrais que, témoin du feint accouchement de l’impératrice, vous fissiez tout ce qui serait nécessaire pour donner à cette ruse toutes les apparences d’une réalité. » Corvisart trouva que la délicatesse de sa probité était compromise par cette proposition; il promit le secret le plus inviolable, mais il refusa de se prêter à ce qu’on voulait exiger de lui. Ce n’est que longtemps après, et depuis le second mariage de Bonaparte, qu’il m’a confié cette anecdote, en m’attestant la naissance légitime du roi de Rome, sur laquelle on avait essayé d’exciter des doutes parfaitement injustes.


CHAPITRE X.
(Décembre 1804.)
Arrivée du pape à Paris. — Plébiscite. — Mariage de l’impératrice Joséphine. — Le couronnement. — Fêtes au champ de Mars, à l’Opéra, etc. — Cercles de l’impératrice.


Il est vraisemblable qu’on ne détermina le pape à venir en France qu’en lui présentant tous les avantages et les concessions qu’il retirerait, pour le rétablissement de la religion, d’une pareille complaisance. Il arriva à Fontainebleau, déterminé à se prêter à tout ce qu’on exigerait de lui et qu’il pourrait se permettre; et, malgré la supériorité que pensait avoir sur lui le vainqueur qui l’avait contraint à ce grand déplacement, et le peu de dispositions que toute cette cour eût à éprouver du respect pour un souverain qui ne comptait point l’épée au nombre de ses ornemens royaux, il imposa à tout le monde par la dignité de ses manières et la gravité de son maintien.

L’empereur alla au-devant de lui de quelques lieues, et quand les voitures se rencontrèrent, il mit pied à terre ainsi que Sa Sainteté. Tous deux s’embrassèrent et remontèrent dans le même carrosse,