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Ce voyage dura jusqu’au mois d’octobre. Le 11 de ce mois, Mme Louis Bonaparte accoucha d’un second fils[1]. L’empereur arriva à Paris peu de jours après. Cet événement causait une grande joie à l’impératrice; elle en tirait des conséquences flatteuses pour la certitude de son avenir, et cependant, dans ce moment même, il se tramait contre elle un nouveau complot qu’elle ne parvint à déjouer qu’après beaucoup d’efforts et d’inquiétudes.

Depuis que l’on avait appris que le pape viendrait à Paris pour le couronnement de l’empereur, sa famille était fort empressée à empêcher que Mme Bonaparte n’eût sa part d’une si grande cérémonie. La jalousie de nos princesses était fort échauffée sur cet article. Il leur semblait qu’un pareil honneur mettrait trop de différence entre elles et leur belle-sœur, et d’ailleurs la haine n’a pas besoin d’un motif d’intérêt qui lui soit personnel pour être blessée de ce qui satisfait l’objet haï. L’impératrice désirait vivement son couronnement; il devait à ses yeux consolider son rang, et elle s’inquiétait du silence de son époux. Il paraissait hésiter sur ce point. Joseph Bonaparte n’épargnait rien pour l’engager à ne faire de sa femme qu’un témoin de la cérémonie du sacre. Il allait même jusqu’à renouveler la question du divorce; il conseillait de profiter de l’événement qu’on préparait pour s’y déterminer. Il démontrait l’avantage de s’allier à quelque princesse étrangère, ou au moins à quelque héritière d’un grand nom en France; il présentait habilement l’espoir qu’un autre mariage donnerait d’une succession directe, et il se faisait d’autant mieux écouter sur ce point qu’en même temps il faisait valoir le désintéressement avec lequel il poussait à une détermination qui devait personnellement l’éloigner du trône.

L’empereur, harcelé sans cesse par sa famille, semblait prêter l’oreille à ces discours, et quelques paroles qui lui échappaient jetaient sa femme dans un trouble extrême. L’habitude qu’elle avait de me confier ses peines me rendit toutes ses confidences. J’étais assez embarrassée pour lui donner un bon conseil et je craignais d’être un peu compromise dans un si grand démêlé. Un incident inattendu pensa hâter le coup que nous redoutions. Depuis un temps Mme Bonaparte croyait s’apercevoir d’un redoublement d’intimité entre son époux et Mme de ***. En vain je la conjurais de ne point fournir à l’empereur le prétexte d’une querelle dont on tirerait parti contre elle; trop animée pour se montrer prudente, elle épiait, malgré mes avis, l’occasion de se convaincre de ce

  1. Ce second fils de la reine Hortense était Napoléon-Louis, mort subitement pendant l’insurrection des états pontificaux contre le pape, à laquelle il prenait part. Le troisième fils de la reine, qui devait être Napoléon III, est né le 20 avril 1808. (P. R.)