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guerre avec qui que ce soit, il ne la redoute avec personne. Il ne se mêle pas des affaires de ses voisins et il a droit à une conduite réciproque. Une longue paix est le désir qu’il a constamment manifesté; mais l’histoire de sa vie n’autorise pas à penser qu’il soit disposé à se laisser outrager ou mépriser. »

Cependant, après m’être reposée quelque temps à la campagne, je revins, et je rentrai dans le tourbillon de notre cour, où le mal de la vanité semblait de jour en jour s’emparer davantage de nous. Bonaparte nomma alors les grands officiers de sa maison. Le général Duroc fut grand maréchal du palais; Berthier, grand veneur; M. de Talleyrand, grand chambellan ; le cardinal Fesch, grand aumônier; M. de Caulaincourt, grand écuyer; et M. de Ségur, grand maître des cérémonies. M. de Rémusat reçut le titre de premier chambellan. Il marchait immédiatement après M. de Talleyrand qui, paraissant devoir être occupé par les affaires étrangères, abandonnerait à mon mari la plus grande partie des attributions de sa place. Cela fut en effet réglé ainsi d’abord. Mais peu après l’empereur fit des chambellans ordinaires ; parmi eux étaient le baron de Talleyrand, neveu du grand chambellan, des sénateurs, des Belges distingués par leur naissance, un peu plus tard aussi des gentilshommes français. Avec eux commencèrent les petites prétentions de préséances, les mécontentemens des distinctions qui n’étaient pas pour eux; M. de Rémusat se trouva en butte à leur jalousie perpétuelle, et dans un certain état de guerre, qui me causa des chagrins dont je rougis aujourd’hui quand je me les rappelle. Mais quelle que soit la cour qu’on fréquente, et celle-là en était devenue une bien véritable, il est impossible de n’y pas donner de l’importance à tous ces riens qui en composent les élémens. Un honnête homme, un homme raisonnable a souvent honte vis-à-vis de lui-même des joies ou des peines que lui fait éprouver le métier de courtisan, et cependant il ne peut guère échapper aux unes et aux autres. Un cordon, une légère différence dans un costume, le passage d’une porte, l’entrée de tel ou tel salon, voilà des occasions, chétives en apparence, d’une foule d’émotions toujours renaissantes. En vain on voudrait pourtant s’endurcir contre elles. L’importance qu’un grand nombre de gens y attachent vous force malgré vous de les apprécier. En vain l’esprit, la raison se dressent contre un tel emploi des facultés humaines ; tout mécontent de soi qu’on est, il faut s’apetisser avec tout le monde, et fuir la cour tout à fait, ou consentir à prendre sérieusement toutes les niaiseries dont est composé l’air qu’on y respire.

L’empereur ajouta encore aux inconvéniens attachés aux usages des palais ceux de son caractère. Il ordonna l’étiquette avec la sévérité