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d’elle; je me rappelais l’état où elle m’était apparue pour la première fois, ses larmes, son effroi, l’air dont elle m’avait abordée quand je la vis entrer dans ma chambre et tomber presque à mes genoux. Je me sentais émue de cette comparaison. Étant seulement à quelques pas d’elle, entraînée par un mouvement assez vif qui tenait à l’intérêt qu’elle m’avait inspiré, je m’approchai d’elle, et je lui adressai d’un ton de voix réellement attendri une sorte de compliment sur cette situation si différente où je la voyais dans cet instant. Je ne lui aurais demandé qu’un mot de souvenir qui eût répondu à l’émotion qu’elle me faisait éprouver. Cette émotion fut promptement glacée par l’air indifférent et gêné avec lequel elle reçut mes paroles. Elle ne me reconnut point, ou parut ne point me reconnaître ; je dus me nommer; son embarras s’accrut. Dès que je m’en aperçus, je m’éloignai d’elle promptement, emportant une impression pénible, parce qu’elle refoulait vivement les réflexions que sa présence m’avait inspirées, et que j’avais cru d’abord qu’elle aurait faites avec le même attendrissement que moi.

La manière dont l’impératrice avait obtenu la grâce de M. de Polignac fit beaucoup de bruit à Paris et devint une nouvelle occasion de célébrer sa bonté, à laquelle on rendait justice très généralement. Aussitôt les femmes, les mères ou les sœurs des autres condamnés assiégèrent le palais de Saint-Cloud, et tâchèrent d’être admises en sa présence, pour parvenir aussi à l’attendrir. On s’adressa en même temps à sa fille, et l’une et l’autre obtinrent de l’empereur d’autres commutations de peine. Il s’apercevait des sombres couleurs que tant d’exécutions multipliées allaient jeter sur son avènement au trône, et il se montrait accessible aux demandes qui lui étaient adressées. Ses sœurs, qui ne partageaient nullement la bienveillance publique qu’inspirait l’impératrice, jalouses d’en obtenir, s’il était possible, quelques marques pour elles-mêmes, firent avertir les femmes de quelques-uns des condamnés qu’elles pouvaient aussi s’adresser à elles ; elles les conduisirent à Saint-Cloud dans leur voiture, avec une sorte d’apparat, pour solliciter la grâce de leurs époux. Ces démarches sur lesquelles l’empereur, je crois, avait été consulté d’avance, eurent quelque chose de moins naturel que celle de l’impératrice, parce qu’elles parurent trop bien concertées. Mais, enfin, elles servirent à conserver la vie à un certain nombre d’individus.

Murat qui, par sa conduite violente et son animadversion contre Moreau, avait excité une indignation universelle, voulut aussi se réhabiliter par une démarche de ce genre, et obtint la grâce du marquis de Rivière. Il apporta en même temps une lettre de Georges Cadoudal adressée à Bonaparte dont j’entendis la lecture. Cette