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prison qui devaient être suivies de la déportation. On le réunit à son frère. Ils ont tous deux été gardés depuis, et après avoir été renfermés dans une forteresse, on les retint dans une maison de santé, d’où ils s’échappèrent pendant la campagne de 1814. À cette époque, on a soupçonné le duc de Rovigo, alors ministre de la police, d’avoir favorisé leur évasion, pour s’ouvrir la faveur d’un parti qu’il voyait près de triompher.

Sans chercher à me faire valoir dans cette occasion plus que je ne le mérite, je puis cependant convenir que les circonstances s’arrangèrent alors de manière à permettre que je rendisse à la famille Polignac un service très réel, et il paraîtrait assez naturel qu’elle en eût conservé quelque souvenir. Cependant depuis le retour du roi en France, j’ai été à portée d’éprouver à quel point l’esprit de parti, et surtout dans les gens de cour, efface les sentimens qu’il réprouve, quelque justes qu’ils soient.

Après cet événement, Mme de Polignac se crut obligée de me faire quelques visites, mais peu à peu, nos relations étant assez différentes, nous nous perdîmes de vue pendant les années qui s’écoulèrent, jusqu’à l’instant de la restauration. À cette époque, le roi envoya le duc de Polignac à la Malmaison pour y remercier l’impératrice Joséphine, en son nom, du zèle qu’elle avait montré pour sauver les jours de M. le duc d’Enghien. M. de Polignac profita de cette occasion pour lui offrir en même temps l’expression de sa propre reconnaissance. L’impératrice, qui me conta cette visite, me dit que, sans doute, le duc passerait aussi chez moi, et, je le confesse, je m’attendais à quelques marques de son attention. Mais je n’en reçus aucune ; et comme il n’était pas dans mon caractère de chercher à échauffer par des paroles une reconnaissance à laquelle je n’eusse attaché quelque prix que si elle eût été volontaire, je me tins paisible chez moi, sans essayer de rappeler un événement qu’on paraissait vouloir oublier. Un soir, le hasard me fit rencontrer Mme de Polignac chez M. le duc d’Orléans. Ce prince recevait ce jour-là, chacun s’y faisait présenter, il y avait un monde énorme. Le Palais-Royal était décoré avec le plus grand luxe; toute la noblesse française s’y trouvait réunie, et les grands seigneurs et les gentilshommes, à qui la restauration semblait au premier moment rendre leurs droits, s’abordaient avec cette assurance et ces manières satisfaites et aisées que l’on reprend toujours avec le succès.

Au milieu de cette foule brillante, j’aperçus la duchesse de Polignac. Après une assez longue suite d’années, je la retrouvais remise à son rang, recevant toutes les félicitations qui lui étaient dues, satisfaite, environnée d’un monde qui se pressait autour