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Parmi les reproches qui m’ont été adressés, il en est un que l’on a répété à satiété. On m’a très nettement dit que je piétinais sur des cadavres; seulement on a négligé de m’apprendre sur lesquels, et je ne sais pas encore si j’ai piétiné sur les assassins ou sur les victimes. En attendant que l’on veuille bien m’éclairer à ce sujet, je crois pouvoir affirmer que je n’ai piétiné ni sur Mégy, ni sur Félix Pyat, ni sur Gabriel Ranvier, ni sur Eudes, ni sur tant d’autres qui traitaient de capitulards nos soldats écrasés par le nombre, qui reprochaient à nos généraux de n’avoir pas su se faire tuer, qui poussaient au crime le troupeau affolé de la fédération, qui resteront à jamais rouges du sang qu’ils ont fait verser; mais qui n’ont eu le courage que de se sauver et d’aller attendre hors de nos frontières le moment de revenir achever leur œuvre. Non, sur le cadavre de ceux-là je n’ai point piétiné.

Par une étrange aberration, on m’a aussi reproché d’attaquer la forme actuelle du gouvernement et, en flétrissant la commune, de porter préjudice à la république. Cela m’eût rempli de surprise, si je n’avais su, dès longtemps, que l’esprit de parti modifie arbitrairement la valeur des mots selon les besoins de sa polémique quotidienne. Ceux qui ont soutenu cette thèse insensée n’ont pas compris que la commune fut précisément l’inverse de la république et que la violation du pouvoir par une bande d’incapables furieux, l’absence de toute garantie pour la liberté et la vie des citoyens, le service insurrectionnel obligatoire, la suspension du culte dans les églises, le despotisme le plus abject imposé à la population, était le contraire d’un ordre de choses qui admet, en principe, la libre, l’équitable répartition des droits et des devoirs.

Plus tard, lorsque l’on verra dans son ensemble toute cette commune dont je n’ai pu que découvrir quelques coins, on reconnaîtra que la politique n’y fut jamais pour rien. Ceux qui l’inventèrent, l’imposèrent à Paris et ne reculèrent devant aucun forfait pour la prolonger, se disaient républicains : ce n’est là qu’une étiquette; lorsqu’on la soulève, on s’aperçoit promptement qu’elle cache des ambitieux amoureux d’eux-mêmes et ivres de pouvoir. Si un despote leur eût offert la puissance, la fortune et des titres, eussent-ils refusé? J’en doute. En voyant la persécution qu’ils se hâtent d’exercer, dès qu’ils sont les maîtres, contre tous ceux qui ne s’inclinent pas devant eux, en comptant les crimes qu’ils ont froidement commis avant de disparaître, je me suis toujours rappelé cette lettre fameuse : « Je viens de faire tomber deux cents têtes à Lyon; je me promets d’en faire tomber autant tous les jours; les larmes de la joie et de la vertu inondent mes paupières sous l’effort d’une sainte sensibilité. » Le « sans-culotte » qui écrivait ceci devait plus tard être duc d’Otrante, exécuter les œuvres secrètes de l’empire