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et exécutait à la lettre les ordres du gouvernement, il pouvait être tranquille sur les obstacles d’obéissance qu’il prétendait que j’éprouverais, que tous les petits moyens de la jalousie et des autres petites passions m’étaient très indifférens, et que, dans vingt-quatre heures, une fois mis en possession du commandement, tout le monde aurait obéi, et que, depuis que je connaissais quelque chose à ce que c’était que le commandement, j’avais bien su mépriser toutes ces misères et utiliser les hommes selon leurs talens. »


La correspondance du maréchal Davout avec sa femme remplit à peu près tout le deuxième volume de ces Mémoires. Elle va de 1801 à la fin de 1810, embrassant ainsi le commandement de l’armée du Nord pendant les années du consulat, poste difficile qui lui fut assigné aussitôt après son mariage et où il rendit à Bonaparte de si utiles services, Austerlitz, Auerstaedt et la guerre de Prusse, Eylau, le commandement de Pologne en 1807, et enfin cette mémorable campagne de 1809, où il marcha par une suite de combats terribles à cette sanglante bataille de deux jours qui lui valut son second titre, harcelant et étreignant pour ainsi dire la fortune de son poignet de fer pour qu’elle lui livrât la victoire qu’il réclamait d’elle, c’est-à-dire la série entière des années radieuses, sans jours sombres, sans gloire ingrate comme le seront les années qui vont suivre. On se tromperait cependant beaucoup si l’on croyait que c’est le grand homme de guerre que ces lettres mettent particulièrement en lumière; assurément il n’en est pas absent, nous le verrons bientôt; mais ce n’est pas lui qu’elles sont avant tout ambitieuses de nous montrer, c’est un second Davout, plus inconnu de la postérité, l’homme privé, le chef de famille, le héros au repos pendant les rapides minutes de trêve que lui laisse l’action, cette maîtresse impérieuse de toutes ses heures. Arrêtons-nous donc devant ce second Davout, et voyons s’il ne justifie pas exactement le mot du père d’Henri Heine : « Heinrich, n’est-ce pas que c’était un aimable homme ? »

L’étendue de cette correspondance, que nous sommes loin d’avoir tout entière (l’éditeur n’ayant pu nous donner que les lettres qui sont en sa possession ou qui lui ont été communiquées), suffirait seule à nous faire comprendre combien fut forte et soutenue cette affection conjugale. Davout est vraiment un modèle d’exactitude maritale; à peine se passe-t-il un jour sans qu’il écrive à la maréchale, à qui cependant cette ponctualité suffit à peine; pendant les quatre années de commandement de l’armée du Nord surtout, où il était moins engagé dans le feu de l’action qu’il ne le fut à partir de 1805 et qu’on peut appeler les années de miel de ce mariage, les lettres pleuvent sans discontinuer d’Ostende et d’Ambleteuse sur l’austère