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et les plantations, surveiller sa laiterie, ses moulins et sa basse-cour étaient son occupation favorite; pour elle, ces soins de ménagère étaient tout plaisir, et le reste était tout corvée. Les simples visites semblent avoir été pour elle une charge trop lourde; il n’y a pas pour ainsi dire une lettre de son mari qui ne fasse foi de cette disposition qui le contrariait vivement, et souvent même l’affligeait. A chaque instant, il la rappelle à ces devoirs d’étiquette dont leur position commune lui fait une loi. « Es-tu enfin allée voir Mme Bonaparte, va donc voir Mme Bonaparte, je te recommande instamment d’aller chez Mme Bonaparte, » est le refrain presque obligé de chacun de ses billets. Il est aisé de voir à cette insistance que le maréchal craint les impressions défavorables que ces lenteurs de sa femme peuvent créer chez le premier consul et Joséphine, et les situations embarrassantes où cette circonstance peut le placer. A bien y regarder, on aperçoit autre chose peut-être que l’ennui du monde dans ce peu d’empressement de la maréchale, et cette autre chose est, croyons-nous, la quasi-parenté qui l’unissait à la famille du premier consul, et plus tard de l’empereur, et qui était faite pour rendre les relations souvent difficiles et toujours délicates. Dans une telle situation, la susceptibilité s’effarouche plus aisément, la timidité redouble, l’imagination s’exagère le plus mince incident, et l’on trouve de la froideur dans le moindre geste, de la défaveur dans le moindre regard, de l’indifférence dans le plus court silence. Nous voyons que la maréchale avait été plusieurs fois affectée de l’attitude de Joséphine à son égard. S’il y avait eu en effet quelques froissemens, il ne faut guère en chercher la cause que dans certains incidens qui étaient nés de cette quasi-parenté. La maréchale Davout était la sœur du général Leclerc, et elle avait pour ce frère si prématurément enlevé une affection des plus profondes. Peut-être le second mariage de Pauline Bonaparte succédant si vite au premier lui fut-il une blessure trop sensible pour qu’elle réussît à la cacher, et peut-être cette piété fraternelle mal dissimulée fut-elle prise avec déplaisir par la famille consulaire. Qu’il y ait eu en tout cas certaine piqûre qui ait été ressentie vivement par Pauline Bonaparte, et par suite par son entourage, cela n’est pas douteux, car une lettre du maréchal nous apprend que sa femme avait eu à se plaindre de procédés inconvenans de la part du prince Borghèse pendant une visite à Savigny. Cette piqûre d’ailleurs n’était pas précisément une de ces misères pour lesquelles les femmes se brouillent entre elles, selon un mot philosophique de Thiers à propos de je ne sais quelle querelle entre femmes de la cour impériale. Pauline avait un fils du général Leclerc, un fils bizarrement nommé Dermide par le premier consul par suite du goût non moins bizarre qu’il afficha toute sa vie pour les poèmes d’Ossian, goût dans