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des couleurs bourgeoises. L’idéal de femme qu’elle avait conçu et qu’elle s’efforce de façonner, c’était celui d’une ménagère femme du monde, qui vécût pour son mari sans l’enfermer dans son amour comme dans une solitude, et qui fît profiter son intérieur de toutes les élégances et de toute l’animation qu’exige la vie mondaine. Écoutez plutôt ces conseils à son élève et cette esquisse de la femme selon ses préférences :


« Vous allez être une de celles qui réaliserez ce qu’on a caractérisé de ma chimère, occupée de convenir à tout le monde et de faire le bonheur d’un seul; soignée dans les moyens décens de plaire, mais pour donner uniquement à son mari le plaisir d’avoir une femme aimable. Une bonne tête unie à un bon cœur sont nécessaires pour savoir bien aimer et pour aimer constamment. Croyez-vous qu’un mari puisse être jamais infidèle, quand il trouvera réuni dans sa femme de la grâce et de la simplicité dans les manières, du goût dans sa parure, mais de la modestie dans la mise et de l’économie dans la dépense; quand elle aura le matin veillé aux plus petits détails d’ordre dans sa maison, inspecté jusqu’à la propreté qui y est nécessaire, et que le soir elle recevra ses amis avec empressement, égards et politesse ; quand elle entretiendra son jugement par des lectures utiles, et partagera son temps entre l’aiguille et le crayon; quand elle n’aura jamais de caprices, connaîtra les prérogatives des hommes et se réservera seulement le droit modeste et aimable de la représentation? Il faudrait rencontrer un être odieux pour n’être pas sûre de son bonheur. »


Est-ce qu’à la lecture de ce portrait sensé et aimable vous ne voyez pas apparaître l’image d’une grande dame du temps de l’empire dans un intérieur à la fois somptueux et ordonné, sans fouillis et sans nudité, revêtue du costume décent et défavorable à la beauté qui était alors à la mode : corsage montant, jupe longue et traînante, manches plates, ceinture marquée trop haut de manière à faire ressortir davantage les signes des fonctions maternelles que les élégances de la forme. Une vision qui attendrit plus qu’elle ne fascine et qui appelle l’estime plus qu’elle ne provoque la séduction!

Mlle Aimée Leclerc, la future princesse d’Eckmühl, était extrêmement belle, d’une beauté imposante et fière qui la sacrait pour les pompes des fêtes royales et dont nombre de contemporains ont pu admirer jusque dans ces dernières années les superbes vestiges. Nul mensonge dans cette beauté, qui tenait non à ces charmes passagers destinés à s’évanouir avec les années, mais à ce qu’il y a dans l’être humain de plus indestructible, c’est-à-dire la forme et la structure même. Comme sa belle-sœur la future princesse Borghèse, la nature l’avait créée avec une franchise exempte de toute